La vieille petite école de Torena est sur le point d'être démolie. Tina, qui fait le tour des villages afin de récupérer du matériel scolaire pour une exposition sur l'école dans les années 40, y arrive juste à temps pour récupérer des documents et, surtout, recevoir des mains d'un maçon une boîte à cigares où elle trouvera la longue lettre écrite par un homme à sa fille qu'il ne connaîtra jamais.
Oriol Fontelles, le Phalangiste Oriol Fontelles, en l'honneur de qui la rue du Milieu de Torena avait été re-nommée, l'ancien maître d'école haï par la moitié du village, était un homme seul après le départ de son épouse enceinte. Aussi a-t-il choisi d'écrire. Quant à Elisenda Vilabrù, qui a passé sa vie à chercher vengeance pour son père et son frère assassinés par les Rouges, elle a aimé passionnément Oriol Fontelles, et veut pour lui l'immortalité, afin qu'il lui appartienne pour les siècles des siècles, amen.
Tina se sent dépositaire de la voix de cet homme, dont tous croient tout savoir, et surtout elle veut que cette lettre pathétique trouve enfin sa destinataire, aussi va-t-elle mener une enquête difficile, plus de cinquante ans après les faits.
Raconter la vie d'un village catalan pendant la Seconde Guerre Mondiale, c'est-à-dire peu de temps après la fin de la guerre civile, est une excellente idée, surtout que l'auteur donne bien à sentir d'abord que si les armes se sont officiellement tues, le conflit se perpétue à bas bruit entre "les deux Espagne", et d'autre part que la proximité immédiate d'un terrain de bataille ajoute beaucoup de complications et de zones d'ombre à un paysage déjà accidenté. De surcroît, des parts importantes de l'action se déroulent dans les années cinquante et soixante dix, avant et après la mort de Franco, et ce sont des moments de l'histoire de l'Espagne sur lesquels sont encore parues peu de fictions, tout au moins en traduction française. Cette publication est donc fascinante et bienvenue.
Les personnages sont extraordinaires, chacun à sa façon, et on ne peut que plaindre le si humain, si tendre Oriol Fontelles, pris entre ces monstres que sont, chacun dans son genre, Elisenda Vilabrù, Valenti Targa et le lieutenant Marco. L'écriture est travaillée, pas vraiment facile à suivre, avec ces passages constants, d'une phrase à l'autre, d'un temps à un autre et d'un dialogue entre deux personnages à un tout autre entre deux autres personnages. Cela demande donc une attention soutenue. Mais pour qui est prêt à faire l'effort, ce beau roman complexe en vaut vraiment la peine !