S'il est un genre littéraire sur lequel il est, à mon sens, difficile de donner un avis qui soit impartial, analytique, intellectuel, c'est bien la poésie. Car les vers ne parlent pas au conscient synthétique mais à l'âme. Ainsi un poète peut faire résonner en vous des cordes que vous ne saviez même pas posséder, ou ne provoquer qu'un simple bof sans écho dans l'onde de votre sensibilité. Dans ce qui suit, vous ne lirez que mes impressions brutes, mes ressentis, "pas une vraie pensée. Rien que des humeurs [...]" (L'encre serait de l'ombre, p. 524)
Philippe Jaccottet joue avec les mots comme un musicien de son instrument, nous susurrant à l'oreille de douces mélopées tantôt mélancoliques ou graves, tantôt lumineuses. L'encre serait de l'ombre évoque des souvenirs de printemps oubliés, d'ombres éphémères, d'aubes mélancoliques, et d'amours passées, où la nature se fait l'écho du ressac émotionnel. Éclairés par les rayons d'un soleil d'antan, les textes se construisent en édifices libres qu'il serait vain de vouloir ranger dans tel ou tel type de classification académique. Plus de soixante ans d'écrits ont été rassemblés par Jaccottet lui-même dans les quelques cinq cent cinquante pages de ce recueil, recouvrant notes, prose et poésie. On découvre ainsi en inédit des fragments de génie qui ne sont pas allés plus loin que l'ébauche.
La majorité des textes brillent par leur brièveté et leur instantanéité leur conférant une dimension photographique brute qui ma envoûtée du premier vers au dernier mot de ce recueil. Chaque point, chaque ambiance, chaque texte est un autoportrait lyrique de lauteur avec sa finesse décriture, sa sensibilité vivifiante, et le place à mon sens au panthéon des meilleurs poètes contemporains encore de ce monde. Alors cher lecteur, ne vous privez pas, faites comme moi et savourez ce bijou littéraire ; vous vous envolerez sans aucun doute vers des cieux où la trivialité terre-à-terre de notre quotidien na plus court.