Les Chroniques de l'Imaginaire

Les sacrifiés - Morillot, Juliette

En avril 1911, une Anglaise vivant en Malaisie, alors colonie britannique, fut accusée d'avoir tué son amant. Jugée, condamnée, puis graciée, son histoire déchaîna les passions, et inspira l'écrivain Somerset Maugham pour une de ses nouvelles. C'est aussi en prenant appui sur cette histoire que Juliette Morillot nous livre sa version à travers Les sacrifiés. L'auteur a pris connaissance de cette affaire lorsqu'elle s'est installée en Malaisie en 1986. Des dizaines d'années plus tard, l'Anglaise hantait encore l'esprit des habitants. Après des recherches minutieuses, Juliette Morillot a choisi de fantasmer ce qui a pu se passer, qui était cette Anglaise, mais sans se détacher d'une réalité avérée et plausible.

En août 1954, dans le Connecticut, les Proudlock pleurent Jasper, le père de famille. Ses deux filles reviennent dans la maison familiale le temps des obsèques, et en rangeant ses affaires trouvent par hasard un article de journal évoquant le meurtre commis par leur mère puis la grâce dont elle a bénéficié. Or les filles n'avaient jamais entendu parler de cette histoire. Ethel Proudlock, hautaine et glaciale, ne va pas donner à ses filles les explications souhaitées, mais plutôt jouer avec elles comme un chat avec une souris, et lâcher quelques bribes d'informations de temps à autre. Si bien qu'à l'instar des deux femmes, le lecteur n'apprend à cerner la réalité que petit à petit.

Le roman est extrêmement bien mené pour trois raisons. Premièrement, le mystère qui plane autour du meurtre. Jusqu'au bout l'auteure parviendra à brouiller les pistes et à nous mener par le bout du nez, pour aboutir à un final magistral. En second lieu pour la complexité des relations familiales sur trois générations. Pour expliquer la personnalité d'Ethel, Juliette Morillot remonte jusqu'à sa vie d'enfant passée avec ses parents sur l'île de Ceylan. Une enfance qu'on ne peut pas qualifier de difficile mais marquée par des blessures. Et la relation entre les deux frères Proudlock cristallise à elle-seule la thématique du secret de famille. Les non-dits, les mensonges, tous les ingrédients sont là pour donner à ce roman des allures de saga familiale dramatique et passionnante. Enfin, l'écriture de Juliette Morillot parvient à nous plonger complètement dans son récit. Les décors et personnages, que ce soit en Malaisie, aux Etats-Unis ou en Argentine sont extrêmement bien décrits, l'écriture enlevée, la construction du roman impeccable.

Si le roman commence assez lentement, dans l'optique de planter le décor, les personnages gagnent en consistance au fur et à mesure, et les révélations qui apparaissent sont stupéfiantes. Le titre Les sacrifiés semble obscur au départ, mais on en prend toute la mesure à la fin. Une lecture passionnante !