Les Chroniques de l'Imaginaire

Le bureau de poste de la rue Dupin et autres entretiens - Duras, Marguerite & Mitterrand, François

Deux amis de longue date (depuis 1943) racontent l'arrestation de l'époux de l'une et de l'ami de l'autre par la Gestapo en 1944, puis comment ce même homme a été sorti illégalement de son camp de concentration, après la Libération, par François Mitterrand. Mais ce sont aussi des entretiens à bâtons rompus, sur l'Afrique, l'Amérique, la France et les Français.

Si Duras ne démontre pas ici un talent particulier pour le journalisme, ce recueil n'en est pas moins fascinant d'intelligence, de culture, de pénétration. On mesure aussi combien tout a changé depuis 1986, dans le rythme du monde et dans le type des hommes politiques. En effet, on voit ici un président de la République en exercice qui dit qu'il faut laisser du temps au temps : "Prévoir ce qui se passera après nous donne à la vie sa dimension, une dimension individuelle - je plante - et collective - les autres goûteront la douceur de l'ombrage, admireront la force et l'harmonie d'une architecture vivante. Il y a une philosophie de l'arbre." (p. 119), qui fait un contraste frappant avec cette Dictature de l'urgence, mise en relief par Gilles Finchelstein (publié chez Fayard en 2011) dans son ouvrage éponyme.

Il a avec parfois des accents prophétiques "Epouser la réalité d'aujourd'hui et s'en tenir là conduit à nier celle de demain" (p. 142), notamment sur l'Afrique "L'eau puis l'arbre fixeront à la fois le sol et le climat. C'est possible. Y mettre de l'argent, beaucoup d'argent, coûtera moins cher que de ne pas le faire. Y mettre de la patience et de la méthode aussi. [...] La végétation sauvera l'Afrique. [...] Mais si l'homme laisse le désert à lui-même, c'est le désert qui gagnera, et vite. C'est une question de temps." (p. 116)

En somme, un petit bijou à lire et relire, qu'on soit ou non d'accord avec les idées qui y sont exposées, tout simplement pour l'amour du beau langage.