Les Chroniques de l'Imaginaire

L'homme inquiet (Les enquêtes du commissaire Wallander - 11) - Mankell, Henning

Oyez, oyez, lecteurs et lectrices de tous bords, approchez et entendez la nouvelle : L’homme inquiet est la dernière enquête du commissaire Wallander. Pardon, qu’est-ce que vous dites ? Je gâche la surprise ? Ah, mais je n’y suis pour rien, cher lecteur. Les éditions Points avaient déjà vendus la mèche avec un bandeau promotionnel on ne peut plus explicite. Dommage, me direz-vous… Certes, mais cela nous empêche-t-il de profiter pleinement de ce polar ?

D’ailleurs je me pose la question : cette ultime aventure peut-elle encore être classée "intrigue policière" ? Dans cet opus, davantage encore que dans les précédents, il ne s’agit pas de suivre le commissaire dans les rebondissements d’une de ses enquêtes, ou alors seulement de loin en loin. On l’accompagne plutôt page à page dans le défilement des jours, et sa lente descente vers l’oubli. Wallander achète une maison, et réalise ainsi un rêve qu’il porte en lui depuis longtemps. Il s’éloigne de la civilisation et se rapproche de la nature. Comme son père, avant lui, l’avait fait. Un père dont la présence fantomatique est quasi omniprésente, un défunt père farouchement vieux et seul dans ses dernières années de vie, abandonné par sa famille et retiré du monde. Un schéma que le policier redoute par-dessus tout de reproduire, et qu’il reproduit malgré tout : avec sa fille, et avec sa petite-fille qui vient de naître d’une union non-consacrée par le mariage. Quelqu’un d’a priori fréquentable ce HansVon Enke, bien que Wallander ne comprenne pas très bien sa relation avec Linda. Au moins vient-il d’une famille on ne peut plus respectable, riche de surcroît, une lignée de militaires, de héros qui ont d’étranges histoires à raconter sur la guerre froide, des histoires de sous-marins et de volatilisations de sous-marins. Des récits passionnants à écouter au coin du feu pendant les longs hivers du nord. Seulement, cette histoire est contée à Wallander à la sauvette, durant une soirée mondaine. Presque rien d’anormal… Jusqu’au jour où le conteur et principal intéressé disparaît mystérieusement sans laisser de traces. Meurtre ou simple enlèvement ? Pourquoi tout semble-t-il si brumeux à notre commissaire ? Pourquoi donc a-t-il l’impression de perdre pied dans cette affaire et de ne pas parvenir à éclairer les zones d’ombre de sa mémoire ? Questionnement personnel et relations familiales sont les pièces maîtresses de cette dernière enquête aigre-douce qui laisse en arrière-bouche un goût de larmes salées.

Henning Mankell signe encore une fois un opus plein de finesse, et de doigté. Un opus sans réel suspense, avec une intrigue simple dont le dénouement nous importe peu, à nous lecteur. Mais une intrigue à laquelle s’accroche le personnage principal, alors que ce n’est même pas son affaire. Poussé par un sombre pressentiment (et si c’était la dernière ?), et par sa fille, il renifle les traces laissées par un disparu, et se retrouve à marcher dans ses propres pas, comme si Hakan Von Enke n’était que l’image de ce qu’il va devenir. Et peu importe finalement les implications politiques internationales de cette affaire. On en revient toujours aux interrogations existentielles de Wallander. Que cache-t-il, lui, Wallander, à sa famille ? S’il venait un jour à disparaître, comment ferait-il ses adieux pour ne pas laisser de regrets derrière lui ? Comment ne pas s’inquiéter de la décrépitude des chairs, des cancers, des pertes de mémoire, des pertes de contrôle et des pertes d'autonomie qui sont les sillons de la vieillesse ? Car notre cher Kurt Wallander se sent vieillir, et "la vieillesse [lui] fait très peur". Alors qui est L’homme inquiet ? Lui Wallander, ou Hakan Von Enke, ce sous-marinier dont au final il ne sait rien ?