Oyez, oyez, lecteurs et lectrices de tous bords, approchez et entendez la nouvelle : Lhomme inquiet est la dernière enquête du commissaire Wallander. Pardon, quest-ce que vous dites ? Je gâche la surprise ? Ah, mais je ny suis pour rien, cher lecteur. Les éditions Points avaient déjà vendus la mèche avec un bandeau promotionnel on ne peut plus explicite. Dommage, me direz-vous Certes, mais cela nous empêche-t-il de profiter pleinement de ce polar ?
Dailleurs je me pose la question : cette ultime aventure peut-elle encore être classée "intrigue policière" ? Dans cet opus, davantage encore que dans les précédents, il ne sagit pas de suivre le commissaire dans les rebondissements dune de ses enquêtes, ou alors seulement de loin en loin. On laccompagne plutôt page à page dans le défilement des jours, et sa lente descente vers loubli. Wallander achète une maison, et réalise ainsi un rêve quil porte en lui depuis longtemps. Il séloigne de la civilisation et se rapproche de la nature. Comme son père, avant lui, lavait fait. Un père dont la présence fantomatique est quasi omniprésente, un défunt père farouchement vieux et seul dans ses dernières années de vie, abandonné par sa famille et retiré du monde. Un schéma que le policier redoute par-dessus tout de reproduire, et quil reproduit malgré tout : avec sa fille, et avec sa petite-fille qui vient de naître dune union non-consacrée par le mariage. Quelquun da priori fréquentable ce HansVon Enke, bien que Wallander ne comprenne pas très bien sa relation avec Linda. Au moins vient-il dune famille on ne peut plus respectable, riche de surcroît, une lignée de militaires, de héros qui ont détranges histoires à raconter sur la guerre froide, des histoires de sous-marins et de volatilisations de sous-marins. Des récits passionnants à écouter au coin du feu pendant les longs hivers du nord. Seulement, cette histoire est contée à Wallander à la sauvette, durant une soirée mondaine. Presque rien danormal Jusquau jour où le conteur et principal intéressé disparaît mystérieusement sans laisser de traces. Meurtre ou simple enlèvement ? Pourquoi tout semble-t-il si brumeux à notre commissaire ? Pourquoi donc a-t-il limpression de perdre pied dans cette affaire et de ne pas parvenir à éclairer les zones dombre de sa mémoire ? Questionnement personnel et relations familiales sont les pièces maîtresses de cette dernière enquête aigre-douce qui laisse en arrière-bouche un goût de larmes salées.
Henning Mankell signe encore une fois un opus plein de finesse, et de doigté. Un opus sans réel suspense, avec une intrigue simple dont le dénouement nous importe peu, à nous lecteur. Mais une intrigue à laquelle saccroche le personnage principal, alors que ce nest même pas son affaire. Poussé par un sombre pressentiment (et si cétait la dernière ?), et par sa fille, il renifle les traces laissées par un disparu, et se retrouve à marcher dans ses propres pas, comme si Hakan Von Enke nétait que limage de ce quil va devenir. Et peu importe finalement les implications politiques internationales de cette affaire. On en revient toujours aux interrogations existentielles de Wallander. Que cache-t-il, lui, Wallander, à sa famille ? Sil venait un jour à disparaître, comment ferait-il ses adieux pour ne pas laisser de regrets derrière lui ? Comment ne pas sinquiéter de la décrépitude des chairs, des cancers, des pertes de mémoire, des pertes de contrôle et des pertes d'autonomie qui sont les sillons de la vieillesse ? Car notre cher Kurt Wallander se sent vieillir, et "la vieillesse [lui] fait très peur". Alors qui est Lhomme inquiet ? Lui Wallander, ou Hakan Von Enke, ce sous-marinier dont au final il ne sait rien ?