Les Chroniques de l'Imaginaire

La malédiction Lapérouse - Collectif

Présentés de façon parfaite par ce spécialiste de la littérature maritime qu'est Dominique Le Brun, les textes contenus dans cette somme permettent de finalement avoir une assez bonne idée de la dernière expédition de Lapérouse. En effet, il contient :

Les instructions de Louis XVI, terriblement précises et détaillées, que j'ai trouvé touchantes, personnellement, de la part de ce roi qui n'a jamais pu voyager, mais dont la précision même a pu être un fardeau pour des marins soumis aux caprices du vent et de la mer.

Les instructions de l'Académie, puisque l'expédition est partie avec pas moins de dix savants, tous chargés de faire des recherches, et si possible des découvertes, dans leurs domaines respectifs. Le détail de ces préconisations, comme leur ampleur, rappelle que nous sommes à l'époque de l'Encyclopédie.

Le journal de bord de Lapérouse. En effet, ce marin expérimenté et prudent n'a jamais manqué une occasion pour expédier ses comptes rendus en France. De ce fait, il ne nous en manque guère que les trois derniers mois. J'ai trouvé cette lecture particulièrement passionnante : d'abord, ça se lit comme un roman d'aventures maritimes qui serait écrit dans une langue admirable de classicisme, mais de surcroît, j'ai personnellement été sensible à cette tension permanente entre l'urgence liée au temps qui passe et à "l'ordre du jour" à respecter, et le souci de la protection et du repos des équipages.

Voyage de Peter Dillon à la recherche de Lapérouse : j'ai regretté que ce compte rendu rocambolesque se déroule, pour les deux premiers tiers, loin de "Manicolo", mais je ne doute pas que certains se régaleront des avanies diverses subies par cet aventurier fermement décidé à découvrir le sort de l'expédition française disparue. Et par ailleurs il est très émouvant d'y voir retranscrits les récits de quasi-témoins du naufrage. Fût-ce seulement pour cela, ce texte était un must.

Voyage de Dumont d'Urville : à cette lecture, on ne peut qu'admirer le courage de ces gens mal équipés (manquant d'argent et d'objets de troc, sans interprète...), souffrant de malaria, sinon de scorbut. Ils ne s'en sont pas moins obstinés jusqu'à être absolument certains qu'ils avaient effectivement trouvé le site du naufrage, et qu'il s'agissait bien des vaisseaux de Lapérouse. Qu'ils se soient faits voler la vedette par Dillon à leur retour en France est une injustice criante !

De la rumeur aux preuves rapporte la persistante présence de l'expédition dans la presse, de la Révolution à nos jours. En fait, la seule éclipse dans les recherches a été de la fin du XIXe siècle aux années 1960.

Les dernières découvertes décrit les travaux réalisés par l'Association Salomon, composés de chercheurs et plongeurs qui font tous les ans des campagnes sur place. Ils racontent ici le naufrage tel qu'il a pu se passer, d'après ce qu'on peut déduire des dernières découvertes archéologiques, et des éléments permettant d'identifier chacune des épaves.

C'est aussi dans cette dernière partie que j'ai trouvé des réponses à la question que je me posais au départ, des raisons de cette fascination persistante pour l'expédition (en somme, Lapérouse n'est pas le seul marin à s'être perdu en mer !). En fait, Lapérouse et Vanikoro se trouvent au croisement de plusieurs éléments, tous potentiellement porteurs de fascination : les catastrophes maritimes en général, par le double aspect de fatalité et de disparition ; les Tropiques, l'île difficile d'accès et "mystérieuse" ; le lien entre présent et passé, par le témoignage d'un monde d'au-delà de la Révolution, un éventuel parallèle entre le sort de Lapérouse et celui de son "donneur d'ordre", et la possibilité de renouer avec l'Ancien Régime et Louis XVI (je croirais volontiers que ces derniers aspects étaient particulièrement actifs sous la Restauration !).

Pour finir de tenter ceux qui hésiteraient encore à se lancer dans cette lecture copieuse, je dirai que contrairement à ce qui était annoncé dans la biographie de Lapérouse chroniquée ici, on y découvre son sort, avec une quasi-certitude.