L'histoire commence à Naples, où l'on voit Don Juan Tenorio abuser une femme de la noblesse en se faisant passer pour son fiancé. Protégé par son oncle, il s'enfuit et, à peine de retour en Espagne, séduit la pêcheuse sage qui l'avait sauvé, avant, à Séville, de prendre l'habit de l'un de ses amis pour séduire sa cousine et tuer le père de celle-ci, puis de remplacer sans vergogne le mari d'une paysanne.
La trame est bien connue. Il n'empêche que la lecture de l'oeuvre originale de Tirso est précieuse en ce qu'elle montre les différents aspects du mythe : l'inconséquence du personnage, qui ici n'est pas une véritable impiété, puisqu'il réclame un confesseur au moment de mourir (mais ce pourrait aussi être un stratagème pour gagner du temps) ; son charme fatal sur les femmes ; son attachement au présent seul : le passé est derrière lui, mort donc, et le futur n'existe pas ("Tan largo me lo fiàis !") ; son mouvement perpétuel : Don Juan est toujours en train de courir, vers quelque chose, en général une femme, ou pour fuir autre chose, en général une femme ; son hybris, telle d'ailleurs qu'il ne peut être châtié que par le Ciel, il ne ressort pas des lois humaines, naturelles (l'autorité de son père) ou sociales (l'autorité du roi, chargé entre autres de faire respecter l'ordre de la société, et la parole donnée).
La pièce est aussi très agréable à lire, en soi, par sa vivacité, et si l'espagnol du Siècle d'Or est difficile pour le lecteur de la langue moderne, la traduction est fidèle à l'esprit de la version originale, et enrichie de notes de bas de pages utiles et appropriées, tant en quantité qu'en qualité. Comme l'intéressante préface, c'est un bien beau travail qu'a réalisé Henri Larose.
Enfin, cet ouvrage permet de mesurer tout ce que Da Ponte (le librettiste du Don Giovanni de Mozart) a pris chez Tirso, et rappelle que l'opéra de Mozart est sans doute sa postérité la plus fidèle, mais aussi ce qu'il n'y a pas pris, en l'occurrence le "Tan largo me lo fiàis", leitmotiv de la pièce qui n'apparaît pas dans l'opéra, contrairement au thème de la main donnée, par exemple.