L'auteur des Voyages de Gulliver fut en son temps un satiriste célèbre et pertinent, qui n'hésitait pas à user et abuser de l'humour noir pour défendre les valeurs qui lui importaient et pointer du doigt ceux qui empêchaient la nation de prospérer et maintenaient les pauvres au plus bas de l'échelle.
Ce petit livré édité aux éditions Folio propose quatre courts textes satiriques, dont le plus percutant donne son titre à ce recueil : Modeste proposition concernant les enfants des classes pauvres. L'auteur ne propose rien de moins que de manger les bébés ayant atteint l'âge de un an. Avant leurs mères les nourrissent au sein et cela ne coûte rien, mais ensuite elles mendient pour acheter de la nourriture et cela, c'est intolérable. De plus, à un an, le bébé est déjà bien dodu et sera formidablement goûteux rôti au four. La vente de leurs bébés aux riches gourmets permettra ainsi aux pauvres de vivre un peu plus confortablement. Evidemment, il s'agit d'un moyen détourné employé par Jonathan Swift pour dénoncer l'extrême-pauvreté des classes les plus basses, mais il le fait avec sérieux, à l'aide de calculs et d'arrivages selon les périodes. Cela rend le message d'autant plus drôle mais aussi d'autant plus frappant.
Les autres textes sont dans la même veine. Le troisième expose un schéma pour la création d'un hôpital pour incurables afin de faire des économies à l'échelle nationale. On y logerait les sots incurables, les gredins incurables, mais aussi les écrivailleurs incurables, les mégères, les vaniteux... En somme une partie non négligeable de la population.
Ce qui frappe dans cet ouvrage c'est la qualité de l'écriture de Jonathan Swift, qui arrive à dire le contraire de ce qu'il pense en faisait presque croire qu'en fin de compte, il le pense vraiment, tant sa prose est convaincante. Un régal à lire, d'autant que les sujets abordés n'ont pas tant vieilli que ça...