Les Chroniques de l'Imaginaire

Wagner, Roland C.

Mureliane : Roland Wagner, bonjour, merci d'avoir accepté cette interview pour les Chroniques de l'Imaginaire à propos de ton roman Rêves de Gloire, qui vient d'obtenir le Grand Prix de l'Imaginaire, et du recueil de textes Le Train de la réalité, qui se déroule dans le même univers, et qui vient de sortir chez L'Atalante. Surtout à propos de Rêves de Gloire, roman important dans le paysage de la SF, et de l'uchronie, et dans ta carrière, puisque c'est un roman plus ambitieux que ceux que tu as publiés jusqu'à présent. Pourrais-tu nous en dire plus sur sa genèse ?

Roland C. Wagner : Elle a pris longtemps. Entre le moment où j'ai commencé à me dire qu'une uchronie sur l'Algérie était peut-être une bonne idée, le moment où j'ai commencé à en parler, et celui où je me suis mis au travail, il s'est passé... quinze ans ? Facile. Pendant cette période, j'ai accumulé de la documentation. Mais doucement, sans me presser. Je savais jamais par quel bout prendre le bouquin, parce que ça me paraissait vraiment compliqué : je voyais énormément de choses que je voulais ou pouvais mettre dedans, mais je séchais sur la manière de les organiser, en fait. Quand ActuSF a décidé de rééditer Le Serpent D'angoisse, en 2009, j'ai essayé de rétablir à peu près l'état d'origine du texte. Pour sa parution au Fleuve Noir, l'éditeur m'avait demandé de changer l'ordre des scènes, d'organiser le roman d'une manière un peu plus “simple”. Au départ, il était complètement éclaté de partout, en une succession de scènes très très rapides et dans ce qui pouvait ressembler à un joyeux désordre. Donc, pour l'édition ActuSF, je suis revenu à cette structure mosaïque, et pendant que je le faisais, j'ai commencé à me dire que c'était un bon principe de construction, dont je ne m'étais pas servi depuis pas mal de temps. C'est dans ces eaux-là que j'en suis arrivé à la conclusion que la meilleure solution pour raconter ce que je voulais raconter dans Rêves de Gloire, c'était de donner la parole à beaucoup de narrateurs, tous anonymes.

M : Ah ben, ça le fait !

RCW : Oui, mais ce n'était pas évident dans un premier temps… Une telle structure avait quelque chose d'effrayant. Quand j'ai exposé mon idée à Mireille Rivalland, à L'Atalante, j'ai entendu un blanc distinct au bout du fil. Ce n'était pas qu'elle me faisait pas confiance, mais présentée comme ça, la contrainte structurelle peut jeter un froid. Après, bon, y avait plus qu'à. Une fois l'idée de la structure trouvée et validée par ma directrice de collection, c'était parti. Le plus difficile n'était pas de concevoir ou d'écrire le livre, c'était de déterminer une structure qui corresponde exactement, enfin, le mieux possible, au fond du projet. Après, la rédaction m'a pris en gros un an et demi.

M : Mais il y a quand même un personnage central, celui du Collectionneur. Cette idée-là s'est imposée d'emblée ? Tu es parti de ton expérience personnelle ? Parce qu'il te ressemble pas mal, quand même, ce personnage !

RCW : En fait, non, il me ressemble pas vraiment, même s'il a une histoire familiale qui présente pas mal de traits communs avec la mienne. Mais le bonhomme en lui-même est un personnage composite, créé à partir de plusieurs personnes que je connais, dont un copain collectionneur de disques, bien sûr...

M : C'est le même qui fait Ramirez ?

RCW : Non, ce n'est pas du tout le même. C'était le premier personnage que j'ai trouvé, à cause du 45 tours des Glorieux Fellaghas. L'idée du disque introuvable et “maudit” m'est venue très tôt dans la phase de conception ; dès lors, un personnage collectionneur de vinyles était inévitable. Il me permettait de partir du particulier pour arriver au général, si j'ose dire. On prend quelqu'un qui s'y connaît super bien en rock, en disques de collection, en musique populaire, mais qui en même temps s'en fiche un peu de l'histoire, de la géopolitique et tout ça - il le dit, d'ailleurs. Pour lui, les informations importantes, qui lui permettent de comprendre un certain nombre de choses liées tant à l'intrigue qu'au monde chronique, passent par la musique. Donc, mon choix était de parler à travers la musique de la guerre, de l'Algérie, du mouvement psychédélique, de la contre-culture, de tout un tas de choses. Et c'était plutôt jouissif, tout compte fait, d'imaginer toute une histoire du rock, ce genre de choses… Le personnage du collectionneur s'imposait d'entrée. Et puis, ça permettait d'avoir un meurtre à coups de 45 tours, ce que je trouve plutôt sympa aussi en termes romanesques.

M : Là, tu viens de sortir le recueil Le train de la réalité, qui se déroule dans cet univers. Est-ce que tu prévois d'y passer plus de temps ? D'écrire plus de textes qui se déroulent dans cet univers ? Est-ce qu'il y en a déjà ?

RCW : Il y a la novella L'Été insensé qui doit paraître dans U-Chroniques, l'anthologie du Festival de ImaJn'ère d'Angers. Et puis c'est fini. Si j'ai écrit ces textes supplémentaires, c'est parce que, une fois le roman terminé et publié, il y avait encore des histoires qui demandaient à être racontées, alors je l'ai fait, mais maintenant, je pense que c'est réglé. Bien sûr, je pourrais toujours revenir à ce monde, et je ne dis pas que je n'y reviendrai pas si l'envie m'en vient. Il reste encore tant de trous, et de zones blanches. Mais bon, pour l'instant, ça me va, là. Avec le roman, le recueil, et la novella, on a un ensemble qui me paraît assez équilibré et équilibré.

M : C'est un roman qui a eu déjà... quatre prix, je crois ? Le GPI...

RCW : le prix ActuSF, le prix du Lundi et le prix ActuSF de l'uchronie. Voilà.

M : Et il y a des projets de traduction dans d'autres langues ?

RCW : Ce que je suis en train de faire en ce moment, pour avoir quelque chose à soumettre à des gens qui lisent pas le français, c'est traduire deux chapitres. Norman Spinrad se chargera de mettre tout ça en bon anglais la version finale. Il est déjà repassé à bosser sur les toutes premières scènes, et je pense que ça va le faire. Ensuite, oui, on va essayer de le vendre à l'étranger. C'est difficile, parce que la guerre d'Algérie a l'air d'être un sujet franco-français, à première vue. Mais, en fait, le livre va bien au-delà de son thème apparent.

M : Bien sûr, c'est une histoire de la décolonisation, et comment une société peut... et sur à quoi ça tient la démocratie, parce que cette dictature qui s'installe en France... ça tient à rien...

RCW : Ça tient au fait qu'il n'y a pas eu d'OAS, et donc que l'extrême-droite a continué à être une force potentiellement révolutionnaire. Enfin, chez nous, l'extrême-droite était toujours censée être une force révolutionnaire après la fin de la guerre d'Algérie, mais on voit bien que dans les faits ce n'état pas le cas. Les auteurs du coup d'État de 1973 dans le roman ne sont pas tout à fait les mêmes que ceux qui ont, dans notre monde, tenté de prendre le pouvoir, mais ils sont issus du même courant idéologique.

M : Oui. Et quand je dis "ça tient à rien", je veux dire que ça tient à des choses anecdotiques, et donc ça peut se passer pareil partout dans le monde, en fait.

RCW : D'ailleurs, dans notre monde, si je me rappelle bien, il y a eu un coup d'Etat en 73

M : Avant toute traduction... La diffusion actuelle, est-ce que tu as une idée... c'est seulement en France, ou dans d'autres pays francophones ? Je pense surtout au Maghreb, en fait !

RCW : Au Maghreb, je crois que non, ce n'est pas diffusé. L'Atalante est diffusé en France, en Suisse, en Belgique, au Québec… En fait, je ne sais pas à quoi ressemble la diffusion des livres français au Maghreb, mais j'aurais tendance à penser d'après ce que j'ai pu voir qu'elle est limitée. Il y en avait sans doute beaucoup plus quand j'étais gamin et que j'allais en vacances à Alger, mais, comme l'une des volontés du pouvoir algérien est quand même d'éradiquer le français, langue du colonisateur, tout en menant une politique d'arabisation - également langue d'un colonisateur plus ancien si l'on veut pinailler. En tout cas, au début des années 70 on trouvait même des Fleuve Noir Anticipation, par exemple. J'en ai acheté deux ou trois là-bas, neufs et tout. Mais c'est vrai le Fleuve s'arrangeait pour être diffusé à peu près partout où il pensait pouvoir vendre des livres. Pour en revenir à Rêves de Gloire, les gens qu'il peut intéresser là-bas finiront par le lire, et j'espère qu'il y en aura parmi eux qui l'apprécieront.

M : Oui, il se diffusera lentement... Ça lui va bien, d'ailleurs (rires).

RCW : Oui.

M : Et est-ce qu'il y a d'autres livres à venir ?

RCW : Pour l'instant, j'ai énormément d'idées, mais je ne sais pas trop sur quoi je vais partir. Et j'ai le temps de me décider vu que j'ai du travail comme traducteur, ça permet de gagner sa vie tout en prenant le temps de laisser respirer la machine à intrigues. Là, je traduis Étiquette et Espionnage, une série de Gail Carriger, qui se passe avant Le Protectorat de l'ombrelle. C'est du young adult, avec une gamine de quatorze ans fan de technique, de machines, elle ne peut pas voir un réveil sans le démonter. Elle est très grave, c'est léger, sautillant, ça met de bonne humeur… c'est du Gail Carriger, quoi ! Après je ne sais pas, je vais voir.

M : Tu retourneras aux Futurs Mystères de Paris ?

RCW : J'ai un début de projet : "Mon papa, c'est un drôle de zigoto : d'abord, il a un chapeau vert..." Un genre de vingt ans après, en fait, avec le fils de Tem qui a un pouvoir amusant : il voit les transparents tout le temps, il s'en souvient tout le temps, donc il va commencer à repérer tous les Transparents qui ont croisé le chemin de Tem et qu'il a oubliés, lesquels ont aussi oublié Tem. Je verrais bien une scène à un moment avec une vraie mer de chapeaux verts. Je ne sais pas par quel bout prendre le bouquin, mais ça va être drôle. Alors peut-être que ce sera ça le prochain. Ou le suivant. Je ne sais pas. Je verrai bien quand le moment sera venu de me mettre au boulot. Je fais jamais de projets précis dans le temps, parce que comme je change d'avis sans arrêt : tant que je suis pas bien engagé dans un bouquin, je peux tout à fait laisser tomber, partir sur un autre, reprendre plus tard…

M : A part peut-être Rêves de Gloire, que tu as porté longtemps finalement.

RCW : J'ai quand même pas mal bossé dessus avant la période d'écriture proprement dite. J'avais préparé tout un tas de choses : écrit les chansons, rédigé les fiches de groupes, enfin des trucs comme ça, tout un travail préparatoire, dont une bonne partie se retrouve d'ailleurs dans le bouquin. Mais c'était du travail préparatoire non romanesque : articles, fiches de groupes, ce genre de choses. L'intrigue elle-même je l'ai en partie découverte, pas entièrement mais un peu quand même, en écrivant le bouquin. Si je sais d'avance tout ce qui va se passer, ben l'envie d'écrire elle a tendance à baisser, tu vois ?

M : Et puis, en somme, ce n'est que de la littérature.

RCW : Ah complètement ! Faut surtout pas le bouquin prendre trop au sérieux, ce n'est pas un pamphlet politique. C'est un roman, voilà.

M : Et l'une des choses que j'y ai trouvé particulièrement intéressantes, c'est que c'est une uchronie avec plusieurs points de divergence. Y'en a plein, en fait. Le premier, c'est quoi ? C'est Beria ?

RCW : Avant il y a Mourad Didouche qui meurt pas, et les Russes qui récupèrent Von Braun et les V2 à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Et un lecteur en a trouvé un encore avant : Sikorsky n'émigre pas avec ses parents aux USA à l'âge de trois ou quatre ans, il reste en Ukraine et plus tard il se retrouve dans l'équipe qui fabrique les fusées, avec Korolev et tout ça. Mais là, c'est vraiment un détail, et je me rappelle même plus si je l'ai fait exprès d'avoir mis Sikorsky à cet endroit-là. Si ça se trouve j'ai voulu écrire Korolev et je me suis planté…

M : Oui, on repère les grosses choses, Kennedy, De Gaulle, Budapest, Beria... Mais même Mourad Didouche... En ce qui me concerne, en tout cas, je ne suis pas du tout familière de la guerre d'Algérie, et donc je suis allée chercher sur Internet.

RCW : Le fait qu'Internet existe, et Wikipedia et tout ça, moi ça m'a déchargé d'un poids. Dans un roman, euh, normal, j'aurais dû mettre au moins deux lignes pour rappeler qui était Didouche, qui était Boudiaf, etc. Là je me suis dit : “Soit les lecteurs le savent déjà et ce n'est pas un problème, soit ils ne le savent pas, mais ils peuvent toujours le chercher…" Et puis de toute manière, même si l'on n'a pas toutes les connaissances nécessaires, le livre, en tant que roman, il fonctionne. J'ai donc évité de surcharger le bouquin en explications et en descriptions, en fait. Il est déjà assez gros comme ça ! (rires) C'est vrai.

M : Oui, c'est vrai, c'est pas pratique à transporter dans le sac !

RCW : Non, mais ce sera un atout pour l'édition numérique, justement parce qu'il est tellement gros que, si tu veux partir en vacances en avion, ils te comptent un supplément de bagage, hein !

M : Tu le mets dans le sac à main !

RCW : "Ecoutez Madame, votre sac est trop gros !"

M : Enfin, blague à part, je trouve que c'est une grande réussite. Mais maintenant, tu vois, le problème c'est qu'on va attendre des choses sérieuses de Wagner, maintenant !

RCW : C'est raté ! (rires) Ça fait vingt-cinq ans que je publie des romans, trente-cinq ans que je publie des nouvelles, j'en ai toujours fait qu'à ma tête. À partir du moment où les gens attendent quelque chose, j'ai un peu tendance à vouloir faire autre chose, je n'y peux rien, j'ai l'esprit de contradiction. Voilà pourquoi je dis que je ne sais pas dans quoi je vais me lancer J'ai une idée de space opéra, j'ai une idée de roman post-pandémique, j'ai deux ou trois idées idées situées dans un futur proche ou à moyen terme, il y a la suite des Futurs Mystères, celle du Chant du Cosmos, celle du Temps du voyage. Je n'ai que l'embarras du choix, le tout c'est de décider sur quoi je vais bosser, et de m'y mettre quand j'aurais du temps. Mais j'ai bien envie de refaire des trucs rigolos. Et, de toute manière Rêves de Gloire n'est pas si sinistre et tragique que ça, hein ? Il y a quand même des moments où l'on sourit, comme au début, quand les boîtes de sucre en morceaux disparaissent... Bon, il y a un codage qui fait qu'une partie des gens comprennent directement ce qui se passe, et les autres se disent que c'est bizarre, quand même, sans voir où je veux en venir. Bon, ils comprennent très vite après, mais... Et une bonne partie du bouquin est conçue comme ça : beaucoup, énormément d'informations, peut-être trop pour qu'un lecteur donné, n'importe lequel, puisse les identifier toutes. Alors il va n'en saisir qu'une partie, en fonction de son bagage… disons culturel, et l'effet est, je crois, de créer des chemins différents à travers le livre. Par exemple, si l'on sait qui est Boudiaf, on voit tout de suite pourquoi il est là. Le jeu est là, dans la distribution de l'information, et dans la manière dont les gens qui vont lire le livre vont cheminer à travers lui.Oui, c'est assez expérimental.

M : Ce qui, me semble-t'il, pourrait aussi s'appliquer à ce que tu écris par ailleurs. Je fais surtout référence à ta série des Futurs Mystères, dont je suis le plus familière, mais... C'est ta façon d'écrire.

RCW : Rêves de Gloire ne fonctionne pas exactement comme les Mystères, même s'il y a de gros points communs. Parce que dans les Mystères tu as des informations dans un volume qui ne prennent leur sens que dans un autre. Les lecteurs des Futurs Mystères qui n'ont pas lu la série en entier, et souvent dans le désordre, ne se rendent pas forcément compte que le traitement de l'information est d'une très grande complexité et que le cycle forme vraiment un tout, un ensemble. Alors que dans Rêves de Gloire, comme il s'agit d'un seul volume, ça se voit tout de suite…

M : Ben non. Enfin pas tout de suite tout de suite…

RCW : Ah bon ? Enfin, ça se voit quand on a lu le roman.

M : Je veux dire : le livre est gros, il est dense... Bon, d'accord, je lis trop vite ! Mais à ma troisième lecture, je découvrais que j'avais raté des informations y compris à la deuxième lecture (celle où j'avais pris des notes), et je suis sûre que quand je le relirai une quatrième, voire une cinquième fois, je trouverai encore des trucs que j'avais pas vus... Ce qui est quand même une bonne raison de relire un livre !

RCW : Oui, et puis ce roman-là a quand même été conçu un peu dans l'idée qu'une deuxième lecture serait forcément une approche différente, puisque le lecteur connaîtrait déjà tout un tas de choses et donc ferait attention à d'autres choses, comme tu viens de le dire. Il y a beaucoup de petits détails cachés dans les coins. Il y en a même que j'ai oubliés ! Sylvie me disait pendant que j'écrivais le livre : "Tu te rends compte de la quantité d'informations ?" Oui, j'ai fini par m'en rendre compte, mais je dirais qu'à mon goût il n'y en a pas assez. Cela dit, la mise en place a quand même été compliquée. Mine de rien, elle s'étend sur la première moitié du roman, je n'ai commencé à vraiment dérouler l'intrigue qu'à partir de là. Dans un roman linéaire, ou disons moins complexe, une telle structure aurait sans doute paru déséquilibrée. Là, non seulement elle fonctionne - c'est en tout cas ce que me suggèrent les retours des lecteurs - mais je trouve qu'elle incite à une relecture… à tête reposée.

M : Il y a des écritures arabes qui semblent scander le bouquin. Est-ce qu'elles ont un sens ?

RCW : C'est le nom du lieu où se passe la scène. La première à Sétif, la deuxième à Oran, après il doit y avoir le Constantinois, la scène de la photo, c'est Alger. Et puis, c'est l'un des rares repères qui permet d'identifier aisément un fil narratif - dans ce cas précis, celui du déroulement de la guerre d'Algérie de cet univers-là. Bon, et puis l'écriture arabe est très jolie, et je m'en serais voulu d'avoir écrit un bouquin sur l'Algérie sans y glisser quelques caractères arabes, ne serait-ce que pour des raisons esthétiques. Je ne dirai pas que ça fait un chouïa de couleur locale à peu de frais, mais c'est vrai que le lecteur identifie immédiatement la nature de l'écriture, même s'il ne comprend pas sa signification, et que ça crée donc un décalage.

M : Ah c'est intéressant ! Ces mentions en arabe voisinent souvent avec les phrases en capitales qui sont les cris du copains du Collectionneur, qui donnent des repères temporels, pendant que ces mentions donnent des repères dans l'espace.

RCW : Tu admettras qu'il n'y pas beaucoup de repères. À part ça, il y a la journée de l'Indépendance, qui...

M : … qui elle scande tout le bouquin

RCW : Voilà. Et cette ligne de narration est strictement chronologique. Tu vois, je ne sais même pas combien il y a de narrateurs, combien il y a de lignes de narration, je n'ai pas compté. Ce que j'essayais de faire, c'est quelque chose qui soit, de mon point de vue, équilibré, donc j'ai essayé de donner la parole à un maximum de gens différents. En général, j'ai quand même choisi, dans tous les camps, des gens qui étaient plutôt gentils, même si à la fin tu en vois quelques-uns qui le sont nettement moins, souvent en raison des circonstances - comme le fellagha qui veut à toute force buter le soldat français qui vient de tuer son frère, par exemple. Lui, on sait pas s'il était gentil ou méchant dans une autre vie, ça a peu d'importance, il est dans un processus, et il y a dans le roman la volonté de montrer comment réagissent des gens pris dans des processus historiques qu'ils ne maîtrisent pas du tout.

M : Roland, je te remercie beaucoup !

RCW : Je t'en prie.