Les Chroniques de l'Imaginaire

Le buveur - Fallada, Hans

Erwin Sommer est un homme reconnu dans sa ville, il tient un important magasin de produits agricoles et il se décrit, lui-même, comme sage voire un peu paresseux. Avec son épouse aimante et compétente, il habite dans une grande villa dans la banlieue chic de la ville. Même en ces temps difficiles en Allemagne, Sommer apprécie la vie.

Mais depuis quelques semaines, les affaires ne vont plus aussi bien. Un nouveau concurrent s'est installé dans la ville de Sommer et a remporté plusieurs gros contrats qui revenaient d'habitude à son entreprise, à cause de sa propre négligence. A la perte de la fourniture de la prison locale, s'ajoutent d'autres échecs commerciaux. L'humiliation et la honte de ces revers se mêlent au sentiment d'être dominé par sa femme, bien plus douée que lui dans le milieu des affaires.

Alors, un soir, sous le coup d'une impulsion, Sommer vide une bouteille de vin. C'est à cet instant que sa vie rangée prend une route qui va le changer à tout jamais. Car, après cette première bouteille de rouge, Sommer va rencontrer la reine de l'alcool et le schnaps. L'homme vacille un temps puis s'effondre totalement dans les bras de cette reine.

Fallada était un alcoolique. Cet auteur allemand réaliste, reconnu pour la finesse psychologique de ses personnages a rédigé ce Buveur en calquant le parcours de Sommer sur le sien. Alcoolique et morphinomane, il est passé plusieurs fois par la case prison au cours de sa vie, qu'il finira en 1947 dans la clinique où il a été admis pour le soigner de ses dépendances.

Le buveur est, ainsi, un roman personnel, l'effet est amplifié par la narration à la première personne, dans lequel Fallada retrace la chute dans l'alcoolisme de ce commerçant, un peu mou mais sympathique. Un homme triste, un brin paranoïaque pour qui les vapeurs enivrantes du schnaps sont autant de moyens d'évasion d'une vie qui ne le rend pas heureux, pour partir à l'aventure et rêver d'un avenir meilleur.

Mais Sommer est loin d'être un mauvais bougre. Il est gentil avec les personnes qu'il rencontre, ne regarde pas à la condition sociale de ses interlocuteurs, il aime faire plaisir et veut faire des efforts pour se tirer de cette mauvaise passe. Malheureusement, son entourage ne voit pas les choses de la même manière et Sommer se retrouve seul, face aux juges, aux médecins, à ses démons. Une proie.

L'écriture de Fallada décrit formidablement bien les tourments vécus par Sommer. Cette finesse rend l'ouvrage vivant et on remarque vite le caractère intime de l'oeuvre. On prend énormément de plaisir à lire ce roman psychologique et au fil de la lecture, on n'a guère envie de blâmer Sommer pour ses fautes, on aimerait plutôt l'aider, lui donner le petit coup de pouce supplémentaire dont il a besoin pour s'en sortir. Le sujet est grave, toutefois l'auteur, dans son style propre, ne sombre jamais dans le mélodramatique. L'ensemble est triste mais une pointe d'espoir et quelques touches d'humour rendent ce subtil roman superbe.