Ce numéro nous propose six nouvelles policières, toutes plus réussies les unes que les autres. Très bien écrites et mises en scène, avec à chaque fois une fin percutante, ces six récits sont de belles découvertes qui (re)donnent envie de lire des nouvelles.
Un très bon cru.
Elle le regarde nager de Claude Lallumière
Au bord d'une piscine, une femme alanguie sur sa chaise longue, regarde son mari nager. Enfin, si on peut appeler ça nager ! Comme à son habitude, il ne fait rien comme il faut. On suit alors ses pensées, tous les défauts qu'a son mari, pas assez mature pour elle, sa propre ambition, relevée par l'héritage que vient de faire son mari.
Au coeur de ses pensées les plus secrètes, on comprend au fil des anecdotes, des souvenirs, qu'elle ne fera rien, mais n'empêchera pas non plus l'inéluctable...
Efficace, bien écrit.
Procès-verbal de Paul Scadera
Tous les mois, le Conseil d'Administration d'une communauté vivant et gérant leur immeuble, se réunit et traite les dossiers en cours. Un des habitants leur pose de gros problèmes. Au fil des mois, la tension monte, les plaintes tombent, la police s'en mêle. Jusqu'à ce que les filles du CA adoptent une solution radicale...
Bien écrite, sans temps mort, rythmée, cette nouvelle est sympathique. On comprend bien sûr rapidement ce qui s'est passé lors de cette fameuse réunion. Mais la toute dernière phrase épice délicieusement la nouvelle et donne un aspect différent assez machiavélique.
La page rouge de Raphaëlle B. Adam
Un écrivain attablé à une terrasse de café, connait les affres de la page blanche. Il réalise que pour avancer dans son roman, il faut qu'il connaisse le plaisir de tuer. Il part donc à la recherche d'une victime. Un oiseau fera-t-il l'affaire ? Non. Il faut qu'il tue un humain, pris au hasard dans la foule.
Très bien écrite, cette nouvelle est prenante, haletante. On sent la montée d'adrénaline du chasseur qui découvre l'envie incontrôlable de tuer, on est dans ses pensées jusqu'à la fin. A la fois sombre et féroce, cette nouvelle est une fine analyse de l'envie meurtrière qui monte en puissance et prend le contrôle sur la raison.
Une lecture très agréable. Dans ce numéro d'Alibis, c'est la nouvelle que j'ai préférée.
La victime et son bourreau de Yves-Daniel Crouzet
Un jeune homme, entré par effraction, tabasse copieusement un vieil homme. Il veut lui faire cracher le morceau : où est caché son argent ? Le vieux résiste et ne dévoile rien. Petit à petit, les paroles remplacent les coups. On découvre alors la réalité : qui est qui, pourquoi ce vieil homme, quel est son passé, d'où vient cet argent supposé, qui est véritablement le jeune homme.
Les révélations s'enchainent savamment jusqu'au coup de théâtre final. Efficace, percutant.
Comme une poupée brisée de Geneniève Blouin
Deux policiers sont appelés pour constater le décès terrible d'un bébé, la tête écrasée dans son berceau. Sa mère a également des ecchymoses sur le visage. Le père ne semble pas perturbé. Il devient le coupable idéal.
Cette nouvelle est la plus sombre de la revue, avec un dénouement déstabilisant pour le lecteur qui, personnellement, m'a même mise un peu mal à l'aise. Très bien écrite, bien mise en scène, bien structurée, elle laise cependant un petit goût amer.
La Mort a son prix de Bernard Duchesne
D... est un artiste-sculpteur-illustrateur renommé qui collabore à la revue Alibis. Mais il se sent frustré, car il écrit des nouvelles lui aussi, il voit d'autres écrivains se faire publier, mais pas lui. La jalousie l'envahit petit à petit. Alibis lui demande de créer un trophée qui sera remis au gagnant de leur concours de nouvelles.
Le trophée devra être en béton, puisque l'expression "Alibi en béton" est la clé de voûte de tout roman policier qui se respecte. D... accepte la commande mais décide de transformer son oeuvre en vengeance.
Cette nouvelle est drôle, jubilatoire même, puisqu'on comprend très rapidement que D... n'est autre que l'auteur de la nouvelle. Il s'agit ici de sa première nouvelle, et pour une première, il frappe fort, mêlant fiction et réalité si étroitement qu'on ne sait plus les distinguer. Un coup de maître ! Duchesne a dû autant s'amuser à l'écrire que nous à la lire.
En plus des nouvelles, quelques entrevues et articles :
C'est comme le Québec, sauf que... de Geneviève Blouin
Geneviève Blouin ayant remporté le prix Alibis 2011, elle a gagné un voyage en France, à Toulouse, au salon du Polar. Elle raconte ici, de façon détaillée, son épopée française, le bon vin, la météo trop fraîche pour les toulousains, les moqueries sur les accents, les rencontres avec les écrivains...C'est très distrayant, et cela se lit comme une nouvelle.
Le Polar a-t-il la cote chez les policiers ? par Sébastien Aubry
Six policiers québecois sont interviewés sur leurs habitudes de lecture, plus particulièrement les romans policiers. Les questions sont pertinentes, les réponses sont très instructives, riches et parfois surprenantes.
Une interview très agréable à lire.