Les Chroniques de l'Imaginaire

Motherfucker (Motherfucker - 1) - Ricard, Sylvain & Martinez, Guillaume

Nous sommes dans les années 60, aux Etats-Unis, en Californie. Vermont Washington est un jeune noir américain qui vit avec nombre de ses semblables noirs à Watts, un quartier de Los Angeles. Ce quartier est connu pour les débordements qui y sont survenus suite à l'anniversaire du siècle de l'abolition de l'esclavage. Il faut croire que dans cette Amérique-là, les plaies de l'esclavage sont encore bien profondes. Les noirs sont encore ouvertement victimes d'injustices raciales au quotidien, et Vermont, un homme engagé, n'a pu faire autrement que de faire partie des Black Panthers...

A sa décharge, Vermont a tout de même eu un grand-père qui a été pendu par le Ku Klux Klan, pour avoir appelé son fils Jefferson, le nom du président d'alors... En outre, Vermont a maintenant bien une famille, avec sa femme Annette et sa fille de quatre ans, Abigail, mais Vermont n'a pas de travail, et la petite famille vit chez Jefferson justement, le père de Vermont. Les tensions sont d'ailleurs vives entre Vermont et son père : tandis que le premier ne peut pas ravaler sa fierté, le second est un homme qui ne se bat plus, et qui accepte tout de la part des blancs, y compris de travailler pour un salaire trois fois moins important que n'importe quel blanc.

De même, l'éducation pose problème. Abigail est victime d'un jeu d'enfant stupide, avec des gamins blancs qui jouent au KKK... Evidemment, Vermont ne le supporte pas, et un scandale est évité de justesse, car la maîtresse d'école est une amie de Pete, un ami blanc de toujours de Vermont. Cette amitié n'est d'ailleurs pas sans poser des problèmes à Pete : tous ses amis lui reprochent d'être proche de Vermont, un nègre proche des communistes et des Black Panthers, dans une Amérique où le racisme est encore très présent.

La lecture de ce premier tome de Motherfucker (qui sera un diptyque) ne laisse pas indifférent. Sur la forme, le livre est très beau, avec le papier 135g propre aux éditions Futuropolis, et les dessins d'une grande force en noir et blanc de Guillaume Martinez (dont on a déjà pu voir le travail, en couleurs cette fois, dans les trois tomes de Lucie, série également parue chez Futuropolis). Le noir et blanc renforce ainsi la lisibilité, en mettant l'accent sur les évènements et leur gravité.

La forme est là, et le récit de Sylvain Ricard également ! Ce livre est un véritable devoir de mémoire, devant les difficultés qu'avaient certaines populations dans l'Amérique d'alors. Entre parenthèses, il ne fait nul doute que certaines régions doivent encore connaître ce genre d'inégalités, de nos jours... On ne peut s'empêcher de penser aux problèmes des banlieues, très actuels, même dans notre propre pays. Ici, la lecture de certains passages est tout simplement révoltante, comme ce barman qui, sous le nez de plusieurs policiers, refuse de servir un café à Vermont, sans être inquiété.

Tout un tas d'évènements qui font comprendre l'émergence de mouvements comme les Black Panthers, même si on sait d'emblée que la surenchère de violence n'amènera rien de bon. Ricard se plait à nous montrer des personnages dans leur quotidien, avec leurs difficulté très humaines : c'est là aussi une grande force de ce livre, qui nous raconte des histoires au sein de l'Histoire.