Jack Griffin, la soixantaine, se rend au mariage de la meilleure amie de sa fille, au cap Cod. Il est parti la veille de la cérémonie et son épouse Joy doit le rejoindre le jour J. Il bénéficie donc d'une soirée tranquille, pour lui seul, dont il va pourtant se révéler incapable de profiter. Plusieurs choses le tracassent. D'abord, il pensait que sa femme approuvait son départ anticipé pour cap Cod ; il se souvient même qu'elle l'y a encouragé. Pourtant au téléphone, Joy se montre froide et cassante, comme si elle le lui reprochait. Ensuite, la mère de Jack ne cesse de le harceler d'appels téléphoniques et sa langue de vipère est plus en forme que jamais. Enfin, Jack ne peut cesser de penser à l'urne funéraire de son père - décédé neuf mois auparavant - qui repose dans son coffre. Il souhaiterait en disperser les cendres dans la baie, mais ne parvient pas à se décider quant à l'endroit exact, ni quant au moment adéquat.
Toutes ses épines dans le pied le rendent mélancolique et pensif. Le paysage du cap Cod l'ancre dans cet état d'esprit. Il s'y est rendu toute son enfance en compagnie de ses parents dont le mariage était pour le moins compliqué. Jack ne peut s'empêcher de se plonger dans ses souvenirs doux amers...
Un an plus tard, les époux Griffin sont de retour au cap Cod pour célébrer les noces de leur fille Laura. C'est séparés qu'ils arrivent au mariage. Leur séjour de l'an dernier a été fatal à leur couple, que leur entourage considérait pourtant comme solide. Chacun est au bras d'un nouveau compagnon, et pourtant Jack ne cesse de penser à Joy, à ce qu'ils ont partagé, à l'amour et au désir qu'il continue d'éprouver pour elle. Le bonheur de leur fille ne suffit pas à lui rendre le sourire, d'autant plus que cette année, il y a deux urnes funéraires dans le coffre de sa voiture : celle de son père, dont il n'est pas parvenu à se séparer l'an dernier, et celle de sa mère, décédée quelques mois plus tôt. D'ailleurs, même la mort de cette dernière n'a pas réussi à lui clouer le bec. Jack continue d'entendre ses sarcasmes, aussi clairement que si elle était perchée sur son épaule.
Ce magnifique roman nous plonge dans les pensées d'un homme de soixante ans qui, malgré les apparences, n'a jamais réussi à se défaire de l'emprise de ses parents. Il a beau vivre depuis plus de quarante ans à des milliers de kilomètres d'eux, les tenir à l'écart de sa femme et de sa fille, avoir pris la décision de suivre une carrière toute différente de celle qu'ils avaient tracée pour lui, il ne cesse de penser à eux et d'agir en fonction de ce qu'ils auraient aimé ou détesté le voir faire. La mort de l'un, puis de l'autre, et enfin l'effondrement de son mariage vont lui faire prendre conscience que malgré son âge, il agit toujours comme un enfant en manque de reconnaissance.
Ce livre sensible et juste évite tout pathos ou mièvrerie. Ce bilan de vie en demi teinte d'un homme ni vraiment heureux ni franchement malheureux nous est conté avec un humour pince sans rire et bien choisi. Tous les personnages, de Jack à sa fille en passant par son cauchemar de mère, sont dépeints avec une véracité criante et une humanité qui les rend très sympathiques, même les plus cruels.
Toutes ces qualités font des Sortilèges du cap Cod un livre percutant, à la fois drôle et tendre, qui m'a fait découvrir la plume habile de Richard Russo, un auteur qui me tentait depuis des années. Je vais m'empresser de me plonger dans ses autres ouvrages !