Les Chroniques de l'Imaginaire

N'embrassez pas qui vous voulez - Sowa, Marzena & Revel, Sandrine

Nous sommes en Pologne pendant le régime stalinien. Viktor et sa classe sont une nouvelle fois emmenés au cinéma pour visionner Tout pour lui, l'histoire d'un jeune garçon prêt à tout pour son pays et rencontrer Staline en personne. Tous les enfants sont absorbés par le film, même si c'est déjà la troisième fois qu'ils le voient. Sur son siège, Viktor regarde Agata qui pleure d'émotion, puis se penche vers elle pour l'embrasser. C'est alors qu'elle se met à crier. La projection est aussitôt interrompue par la maîtresse et Viktor va passer quelque temps dans le bureau du directeur. Cela aurait pu passer assez simplement, pour une première fois, mais le problème c'est que le père de Viktor est écrivain. On sait qu'il écrit des textes subversifs et le directeur aimerait bien en lire un. Qui sait, cela pourra peut-être lui permettre d'améliorer son propre quotidien s'il arrive à prouver qu'un autre est un danger pour le pays ? Il demande donc à Viktor de ramener un des textes de son père, juste pour le voir, il lui sera rendu après. Pendant ce temps, la maîtresse interroge les camarades de Viktor et les intimide pour qu'ils parlent. Ce sont des enfants et, naturellement, ils se laissent avoir. La peur est une arme bien puissante, surtout dans un tel pays à une telle époque, surtout contre des enfants.

Après Marzi voici une nouvelle incursion de Marzena Sowa dans la Pologne d'avant la chute du bloc de l'Est. Nous sommes toujours dans un univers d'enfants mais là où Marzi nous emmenait dans des souvenirs malgré tout joyeux et une vision optimiste de la vie dans la Pologne communiste, N'embrassez pas qui vous voulez nous transporte dans un univers sombre, triste et oppressant. C'est un livre qui fait clairement ressortir la peur que pouvaient avoir les gens à l'époque. La peur d'être dénoncé pour un rien par son voisin. La délation était monnaie courante et on ne pouvait être sûrs de rien. Mais on se rend vite compte que tous ceux qui passent pour des "méchants" au départ ont eux aussi des choses à cacher. C'était simplement la volonté de faire ce qu'on demandait du mieux possible, pour ne pas paraitre suspect, qui faisait faire des choses horribles vis-à-vis des autres. Vivre avec toujours cette peur au ventre que la milice pouvait venir vous chercher.

Pour cette nouvelle histoire, Marzena Sowa n'est plus associée à Sylvain Savoia mais à Sandrine Revel. Son dessin a quelque chose de plus rugueux et ses couleurs ne sont pas là pour redonner une quelconque gaieté. Au contraire, c'est vraiment sombre et terne. Comme la vie à l'époque. Cela ajoute au sentiment d'oppression que l'on peut ressentir pendant la lecture et c'est parfaitement bien fait. Par contre, ce côté fait que la lecture est peut-être moins adaptée à un public jeune. Ce qu'on ne voit pas, page 69, n'est, par exemple, pas fait pour des enfants, même si on ne le voit pas.

Marzena Sowa poursuit donc ses récits sur son pays, celui d'avant, celui que les gens de l'Ouest pensaient connaitre, mais qu'ils ne faisaient que caricaturer. Et c'est toujours un grand plaisir que de plonger dans ses histoires. Par contre, ne comptez pas retrouver la joie de Marzi, elle n'est pas là. Pas tout de suite en tout cas.