Les Chroniques de l'Imaginaire

Mort d'un clone - Bordage, Pierre

Martial Bonneteau est un clone comme les autres. Rangé, marié, employé… Employé dans une entreprise sans intérêt dans laquelle il n’est qu’un pion comptable maltraité et exploité. Marié à une femme qu’il n’a jamais aimé et qui ne lui permet plus aucune relation sexuelle depuis leurs trois enfants. Rangé dans un appartement fade d’un quartier bien pensant en périphérie. Et tous les jours, il subit les règles de vie imposées par Madame, par son chef, par la vie qu’il s’est choisie. Ou plutôt dans laquelle il s’est laissé glisser sans résister.
Un matin, il décide d’être le premier à user de la salle-de-bain…

Une vie gâchée suite à des choix qui n’en sont pas, un engoncement dans des pyjamas rayés et dans des costumes de prisonnier, avatars blessants d’une triste réalité, et la cinquantaine qui pointe son nez… Voilà l’exposé que Pierre Bordage veut faire de notre vie moderne. Martial Bonneteau est un clone, une pâle copie, une machine. Une machine avec des états d’âme, des rêves, des projets, mais qui n’a pas la force de les réaliser. Quelque part il ne sait où, il a fait une erreur; et cette erreur il devra la payer toute sa vie.

A coups de doutes salutaires rapprochant la narration d'un monologue intérieur, Bordage dresse de notre société un portrait dérangeant de vérité. Mais Mort d’un clone, c’est aussi la voie de l’espoir. On peut changer, on peut être subversif. Et cet anticonformisme peut passer tout simplement par des blagues que l’on se fait dans sa tête, par des images fantasques ou des définitions loufoques. Cette vie mentale pleine de fraîcheur, de piment et de justesse illustre le gouffre de nos vies (quand on a le courage de se retourner les questionnements parfois cruels suggérés) sans jamais tomber dans le lourd ou le mélo. Une fresque réaliste qui met le doigt sur les aspects dérangeants de nos existences de clones employés, mariés, rangés.

Un ouvrage magnifique, hors des sentiers scientifico-fantastico-fantasystes battus par l’auteur, qui aurait pu ne jamais rencontrer de lecteurs. En effet, Mort d’un clone a été offert en 2009 aux étudiants en information et communication de l’IUT de la Roche-sur-Yon. Sous l'impulsion de Marijo Pateau, ces étudiants qui ne devaient à l’origine que tapuscrire l’œuvre, la corriger et proposer une mouture de mise en page ont tellement mis de cœur à l’ouvrage que les éditions Au Diable Vauvert en ont entendu parler et ont finalement publié ce roman. Une aventure généreuse qui, à mon sens, rend encore plus vivant ce texte atypique et drôle, miroir de nos propres petites mesquineries.