Les Chroniques de l'Imaginaire

Urkas ! - Lilin, Nicolaï

L’auteur raconte sa vie en Transnistrie de sa naissance jusqu’à l’âge de dix-huit ans, date à laquelle il sera enrôlé dans l’armée. Formaté par une société criminelle formée de descendants de communautés sibériennes déportées dans cette région, il nous fait connaître par le détail le milieu dans lequel il grandit. Il s’agit d’une société très hiérarchisée avec des principes auxquels il ne faut pas déroger. Cette vie de violences, de meurtres et autres délits lui est évidemment naturelle et il parle avec détachement, assurance et fierté de sa "communauté criminelle sibérienne" qui est la seule qui soit respectable à ses yeux.

On a le sentiment, à la lecture de ce roman autobiographique, de lire des évènements s’étant produits dans un monde qui aurait existé il y a des dizaines d’années… Or, Nicolaï Lilin est né en 1980…

J’ai été embarquée dans cette lecture et je perdais moi-même le sens des réalités : ce que je lisais était-il véridique ? L’auteur n’est pas avare de détails et ne ménage pas les digressions relatives à tel souvenir, à telles précisions concernant un des personnages même mineur qui croise sa route.

Les explications relatives au monde du tatouage, lui aussi extrêmement codifié, sont passionnantes. C’est l’occupation à laquelle il choisira de se former, ce qui prendra des années et c’est le métier qu’il exerce désormais en Italie où il vit. Il est possible de connaître les détails de la vie d’un criminel en lisant ses tatouages, qui servent également de signe de reconnaissance, sur les parties visibles de son anatomie.

Le chapitre concernant les détails du séjour de l’auteur en prison est insoutenable. Une cruauté absolue règne mais même en ces circonstances, le sens de la famille criminelle et du clan garde tout son sens.

La traque des violeurs de Xioucha, la jeune handicapée mentale, la voulue de Dieu, est le morceau de bravoure du livre, le condensé de toutes les lois criminelles des bandits sibériens pour lesquels une handicapée est sacrée. Cependant, la punition infligée aux coupables ne rend pas la paix à l’auteur du livre qui commence à se poser des questions sur le droit de son peuple d’agir ainsi. La fin de cette société criminelle, qui avait quand même certaines règles, est désormais avérée car les jeunes délinquants ont commencé à y déroger provoquant sa désintégration. Mais pas celle d’un monde qui nous est à peine imaginable.

Il faut lire cet ouvrage sans craindre de perdre le fil, en acceptant les digressions de l’auteur qui sont, en fait, le livre lui-même. On comprend qu’il ait été traduit dans une quarantaine de langues et on se surprend à sourire, à avoir de l’amitié pour tel ou tel personnage. On peut, en revanche, ne pas comprendre le détachement avec lequel Nicolaï Lilin narre des évènements qui nous révulsent si on perd de vue que c’était son monde et qu’il en était fier.

Je ne peux que recommander la lecture de ce livre même s’il a pu être dit qu’il y avait beaucoup de "roman" dans cette autobiographie.