Kemal Bey est un homme heureux : jeune, riche, pas vilain de sa personne, il est sur le point de se fiancer à la belle, jeune et riche Sibel. Mais voilà que, par le plus grand des hasards, il retrouve une cousine pauvre perdue de vue depuis des années, Füsun. Elle devient sa maîtresse, choix audacieux dans la Turquie de 1975, mais disparaît totalement de sa vie après la cérémonie de ses fiançailles avec Sibel, à laquelle il l'avait invitée avec ses parents. Ne supportant pas de ne plus la voir, de ne même pas savoir ce qu'elle est devenue, Kemal devient obsédé par sa belle Füsun disparue.
Ce roman rédigé à la première personne, ce dont l'auteur s'explique à la fin, est non seulement une autopsie de la souffrance amoureuse, mais aussi une fresque dIstanbul dans le dernier quart du XXe siècle. Ces deux éléments me paraissent avoir la même importance et sont d'ailleurs inséparables. Ainsi, Kemal, à un moment donné, s'interdit certains lieux de la ville qui lui rappellent son amour perdu de façon intolérable, et la coutume des projections en plein air des films locaux est présentée à travers l'été qu'il passe à y aller pour accompagner Füsun, par exemple.
On ne peut pas dire que le roman comporte des longueurs, ou alors il faudrait le dire aussi de la Recherche du temps perdu, de Proust, dont l'influence est ici patente. Soit le lecteur "entre dedans", se passionne pour les lieux, les gens, les choses, qu'il dépeint, et dans ce cas il en savoure chaque bribe, comme l'humour discret de l'auteur, soit ce n'est pas le cas et fatalement cela devient un insupportable pensum (et je dirais exactement la même chose de la Recherche !).
Le style est superbe, et on comprend très facilement pourquoi Orhan Pamuk a obtenu le Prix Nobel de littérature en 2006. Les personnages sont crédibles, cohérents, variés, et généralement attachants, même si j'émettrais personnellement des réserves à propos du personnage principal, d'un égocentrisme confondant.