Les Chroniques de l'Imaginaire

Retropolis - To, Anne-Laure & Eldiablo & To, Anne-Laure

Otto, une souris soldat de La Grande Guerre, se fait arracher les mains durant le conflit. Dix ans après, Otto travaille comme rat de main pour Oedipa dans un cabaret et tente d'arrondir ses fins de mois par diverses activités pas légales pour un sou. C'est au cours de l'un de ces travaux bien particuliers qu'il rencontre Polly, une jeune chatte indépendante et aux idées politiques bien trempées.

C'est, et je vais essayer de rester pondéré, un gros, un énorme coup de cœur que j'ai eu pour cette bande dessinée. Bon tant pis pour le "pondéré", je n'ai pas pu faire autrement.

Le scénario est impressionnant d’originalité, l'histoire est prenante de la première à la dernière page. Le dessin et les couleurs sont irréprochables, la personnification sert merveilleusement bien l'histoire. Les distinctions de races y sont très bien vues. On y voit une référence au cultissime MAUS de Art Spiegelamn (les chats sont la race supérieure).

Rétropolis présente au début de l'histoire, deux mondes bien distincts. C'est le monde de Polly qui nous est présenté en premier. Bien que la violence prédomine les premières pages, les couleurs sont chaudes et lumineuses, on y sent de la légèreté. Polly a une farouche envie de liberté, non seulement intellectuelle mais aussi politique. Alors que le monde d' Otto est plus terne, plus noir, on y sent une certaine lâcheté du personnage.

Le message politique est fort. Dans une ambiance à la limite du roman noir, on y voit la situation politique de l'Allemagne d'entre deux guerres. Les gens cherchent le changement par-dessus tout, ils veulent de la morale, du bien-être et un protecteur. L'ascension d'un chat, plus malfaisant et cruel, Heinrich Gefahrlich, et de Traumer, son opposant/associé, d'une classe raciale inférieure, ressemble à l'arrivée au pouvoir d'Hitler, à la montée des deux extrêmes entre les deux guerres mondiales. La force de cette bande dessinée vient du fait que le scénario reprend les marqueurs de la montée en puissance d'Hitler et les détourne afin de donner au texte un aspect uchronique bien particulier.

Le contexte de l'entre deux guerres sert aussi très bien le récit, on y voit la décadence de la fin d'une ère. On constate une ironie bien particulière quand le récit s'essaye à la morale. Il y plane une odeur de rébellion, de contestation envers notre société actuelle, l'anti-consumérisme y est ancré dès le début du récit. On peut aussi y voir une critique de la prohibition aux États-Unis qui s'est passée à la même époque. La boisson que tout le monde s'arrache est sans alcool alors que l'alcool est montré comme dépassé.

C'est beau, c'est dense. J'ai découvert un récit d'une rare intensité. J'y ai vu des références à 1984, à V pour Vendetta. Retropolis peut d'ailleurs être un bon prélude à ces deux œuvres. Au risque de me répéter encore une fois c'est l'une des meilleures bandes dessinées que j'ai pu lire ces dernières années.