Les Chroniques de l'Imaginaire

Solaris (Solaris - 184)

L'éditorial précise que cette livraison sera un "spécial Asimov", du fait que 2012 est le vingtième anniversaire de sa mort, et qu'à cette occasion le festival Québec en toutes lettres, qui s'est déroulé du 11 au 21 octobre, était principalement consacré à son œuvre. Dans le "carnet noir" qui clôture l'édito, Joël Champetier rappelle, de façon sensible et touchante, la disparition brutale de Roland Wagner l'été dernier.

Une fois n'est pas coutume, le premier texte n'est pas une nouvelle, mais un article, à la fois savant et très personnel. Dans Le cimetière des amours passées, Francine Pelletier rend hommage à Isaac Asimov, en le replaçant dans son temps, donc sans gommer les aspects inévitablement "datés" de son œuvre, en soulignant qu'elle n'a pas tout aimé du "bon docteur", mais il n'en reste pas moins qu'elle donne des envies furieuses de (re)lecture, ce qui somme toute pouvait être l'un des buts de l'exercice.

Aurores à venir, d'Alain Bergeron : Hary Thoren est génial, il l'a toujours été, comme son assistant Sun Kyu, et Rosamonde Jacobi en convient volontiers. Trop génial pour être humain ? Ce premier texte de fiction, annoncé comme "en hommage à Isaac Asimov" mérite cet en-tête préliminaire : en effet, le "grand ancien" disparu aurait sans doute pu signer cette histoire de manipulation "pour le bon motif".

Dans les bras de Murphy, de Nando Michaud : Le narrateur a accepté de passer deux ans enfermé sur Callisto, avec la certitude que son salaire mirobolant fera des petits en son absence, et que sa fiancée n'en fera pas autant. Mais c'était compter sans Murphy. Longuette à mon goût, c'est le titre de la nouvelle que j'ai trouvé le plus drôle : pour le reste, elle m'a paru trop prévisible, et c'est dommage parce que l'idée de départ était plaisante.

i-Robot, de Hugues Morin : Comment convaincre Dan Oliver de ne pas faire ce qu'il s'est engagé à faire, et que d'ailleurs il doit faire ? Encore une nouvelle bien dans le style d'Asimov, que j'ai trouvée vertigineuse.

La Race des seigneurs, de Jean-Louis Trudel : Lynas Marois sait enfin sur quelle race de seigneurs il doit écrire son papier. Le seul problème, c'est qu'il s'est engagé par écrit à ne pas l'écrire... J'ai beaucoup aimé cette nouvelle, que j'ai trouvée excellente : drôle, certes, mais surtout l'histoire et la sociologie du monde dans lequel elle se déroule sont habilement suggérées. Une autre participation plaisante à lire par le gagnant du prix Solaris 2012.

Le Nom, de Michel Lamontagne : Quand les robots cherchent à réinventer l'homme disparu. Un beau récit de rapports inversés hommes/robots, en hommage certes à Asimov, mais qui peut aussi évoquer une ambiance à la Walter Tevis (L'oiseau d'Amérique), pour ne rien dire, bien sûr de ce texte fondateur qu'est Frankestein, de Mary Shelley, ou du mythe du Golem.

Le fantôme dans le mécha, de Philippe-Aubert Côté : Théo, Rhupan et Néolème sont amis. Et qu'importe s'ils appartiennent à des nations différentes et possiblement ennemies ? Ce beau texte typique de Côté, qui apparemment a le goût de brouiller les frontières entre les espèces, parle de la tolérance et de la communication entre espèces différentes, bien sûr, mais aussi, et c'est sans doute son aspect le plus "asimovien", d'Histoire et d'évolution, tout en brossant le tableau d'une société étrange mais crédible. A mon avis l'un des meilleurs textes de la revue.

Apothéose, de Mario Tessier : La dernière apparition (holographique) du Dr Hari Seldon. Voilà bien une nouvelle qui aurait fait de l'Asimov très crédible : il n'y manque même pas l'humour typique !

A la suite de sa nouvelle, Mario Tessier consacre ses Carnets du Futurible, logiquement, à La psychohistoire, ou j'avais prévu que vous liriez cette chronique. Il en retrace la genèse et l'histoire, les lois (énoncées mais pas toujours respectées par leur propre créateur), et la "suite" que lui ont donné d'autres auteurs. Il consacre la seconde partie de ses Carnets à l'éventualité d'une telle "science" dans notre monde. Comme à l'accoutumée, c'est agréable à lire, savant, illustré des œuvres littéraires et cinématographiques correspondantes, et complété par un corpus de notes.

C'est la première fois que le volet Lectures a totalement disparu de la version papier pour n'être disponible qu'en version électronique, et, honnêtement, ça m'a gênée : pour les critiques approfondies que j'aime tellement lire dans Solaris, pour leur richesse et leur variété, la lecture sur écran est une corvée. Cela dit, peut-être que des lecteurs plus jeunes que moi n'en seront pas dérangés. En tout cas, c'est disponible ici.