Pinon, Dominique
Garion : On vous dit grand lecteur. Êtes-vous éclectique dans vos lectures ou avez-vous des domaines ou genres de prédilection ?
Dominique Pinon : Oui, un lecteur pour moi même déjà, et puis jadore cet exercice de lecture. Jai commencé à faire ça depuis quelques années avec une petite maison dédition, Gaïa, qui édite beaucoup dauteurs nordiques. Jai suivi un auteur, Jørn Riel, qui écrits des histoires très drôles et touchantes, des racontars sur le Groenland des années 60. Cest un peu des tartarinades, la moindre histoire prend des proportions énormes. Et puis jai fait des lectures publiques pour lassociation Texte et Voix.
G : Comment est né le projet de laudiolivre de Le Hobbit ? Comment avez-vous été contacté, choisi ?
D.P. : En fait cela sest fait par hasard. Je faisais des enregistrements pour les éditions Que Sais-je ? qui renouvellent un peu leur collection et qui mont demandé de faire un enregistrement consacré à la contrepèterie par le biais de Nadine Eghels, de lassociation Texte et Voix. Cest dans ce studio denregistrement, que celle-ci ma demandé si je ne voulais pas lire les deux ou trois première pages de Le Hobbit histoire davoir un pilote pour les éditions Audiolib.
G : Étiez-vous habitué aux lectures du registre de la fantasy ou du fantastique ?
D.P. : Non, pas du tout. Je vous avouerai pour parler franchement que pour Tolkien, jai Bilbo [Le Hobbit, nd Garion] depuis quelques années chez moi, en anglais, mais je ne lai jamais ouvert.
G : Vous avez donc découvert Tolkien avec cette lecture ?
D.P. : Absolument, jai découvert Tolkien avec cette lecture, et javoue quà le lire, cela semble fait pour ça. Cest de la littérature orale. Puis Nadine Eghels a transmis le pilote, et les éditions Audiolib ont trouvé cela très bien, alors ils mont proposé de faire Le Hobbit en entier.
G : Avez-vous hésité ?
D.P. : Pas du tout ! Jétais vraiment ravi de faire ça, dabord parce que jadore lexercice en lui-même et puis comme javais déjà travaillé avec ce studio, compétent, cétait un plaisir à faire. Et puis, je pense être un bon lecteur. Le principal élément dans la lecture, cest de communiquer un plaisir. Ce qui était bien, cest justement que je ne connaisse pas le livre auparavant. Alors je lai lu dune traite avant de lenregistrer, mais en même temps, javais limpression de le découvrir en même temps que je le « lisais ». Je me le racontais à moi autant que je pouvais le raconter à une oreille imaginaire.
G : Tolkien avait commencé cette histoire pour la raconter à ses jeunes enfants. Vous disiez précédemment que Le Hobbit était écrit pour être lu. Dans quelle mesure l'oralité marquée du Hobbit a-t-elle influencé votre propre lecture ?
D.P. : Je me suis vraiment imaginé quelquun qui mécoutait, une oreille imaginaire... et je comprends comme cest écrit. Quand on lit pour soi tout seul, on a limpression quil y a des procédés comme des formules qui reviennent : « Vous vous rappelez ... » qui marquent beaucoup cette oralité. Particulièrement dans Le Hobbit. Cest sans doute un peu trop de comparer cela à L'Iliade et LOdyssée, mais il y a des points communs sur ces formulations.
G : Tolkien avait pourtant quelques influences provenant de la Grèce Antique.
D.P. : Oui, sûrement. Mais ce qui me rebutait au départ, en tant que pratiquant de latin et de grec, cest cette mythologie inventée. Cest toujours un peu artificiel. Mais cest parce que je navais pas lu en réalité. Et quand je lai lu, jai découvert la richesse de cette histoire, linventivité. Jai eu beaucoup de plaisir à le faire.
G : Maintenant que vous avez bien lu lhistoire, au sens propre du terme et au sens figuré, quel est le passage du Hobbit qui vous a le plus marqué ? Votre préféré ?
D.P. : Le début, je dirais. La fête avec les treize Nains. De nombreuses parties en fait... Toute lhistoire... Jai fait ça en trois jours et demi.
G : Cest remarquable ! Quand on sait quil y a dix heures et demi de lecture !
D.P. : Oui cest vrai, mais je ne les ai pas senties passer.
G : Il ma fallu bien plus de trois jours et demi pour lécouter. Avez-vous dû faire beaucoup de reprises ?
D.P. : On a fait quelques petites rustines, oui, mais jaime bien ne pas trop en faire en général. Il y a toujours quelques accrocs, mais pas trop. Cest après, où il y a une relecture par le studio où lon voit quelques raccords à faire, comme au cinéma, sur des petites choses.
G : Au niveau difficulté, quelle était la scène la plus complexe à conter ?
D.P. : Rien de difficile, non. Cest toujours un plaisir de lire. Cest peut-être les fins de journées qui sont les plus difficiles. La fatigue, évidemment.
G : Comment avez-vous interprété les personnages ? Avez-vous bénéficié de conseils particuliers ou fait comme vous le ressentiez ?
D.P. : Comme je le sentais, exactement. On a fait quelques raccords justement sur quelques personnages, comme Gandalf, à des moments. Comme cest une longue lecture, des fois il y a quelques endroits où lon sest trompé, où je nai pas assez marqué les différences entres les personnages. Non, jai fait au feeling. On na pas eu une longue discussion sur comment faire les choses. Il y avait une confiance mutuelle.
G : Et sur la prononciation particulière des noms propres ?
D.P. : Oui, cela était une question au début. Jai demandé comment faire. Cétait en accord avec les maisons déditions, même si je ne connais pas exactement les personnes qui ont donné ces consignes.
G : Parlons de Gollum, son interprétation est singulière et complexe, vous est elle venue naturellement ou avez-vous dû vous y exercer ?
D.P. : Non, je lai fait comme ça, en lisant et racontant. Vous savez, la lecture ce nest pas tant de préparation que cela, on a le texte sous les yeux.
G : Il y a de nombreux chants dans Le Hobbit. Comment les avez-vous ressentis ?
D.P. : Ah oui ! Je me serais bien amusé à les chanter, mais là aussi je métais posé la question au début de savoir comment on allait faire. Mais il ny avait pas de compositeur. Jai trouvé dans un premier temps que cétait dommage... et puis en y réfléchissant les paroles font partie du récit, alors ça aurait été peut-être trop en décalage avec le côté récit du reste du livre si on avait vraiment fait une chanson.
G : Vous avez trouvé que la traduction des chants était assez "chantante" pour que les parler suffise à ressentir le côté mélodique ?
D.P. : Oui, voilà. En fait je raconte le chant.
G : Avez-vous fait une comparaison par rapport à la lecture de poésie que vous avez faite sur lHommage à Rimbaud ?
D.P. : Non ce nest pas vraiment comparable. Hommage à Rimbaud cest un recueil de plusieurs comédiens, chacun lisant un poème avec un habillage sonore. Lire la poésie est peut-être un peu plus difficile à faire passer. Il faut communiquer aussi un plaisir plus quune technique. Il faut avoir son propre rythme, ne pas respecter à la lettre la ponctuation. Elle est là pour donner du sens à la lecture de lil, mais par la bouche il faut transmettre un autre rythme. Je lis comme ça marrange et comme je sens que cela peut passer. Cela vient naturellement.
G : Un peu comme en classe ou à la maison le soir, on raconte une histoire à nos enfants.
D.P. : Cest peut-être une histoire quon raconte à un enfant, mais pour lempêcher de dormir presque, pas pour sendormir. Cest passionnant.
G : Je parlais de la traduction de Daniel Lauzon, une nouvelle traduction sortie il y a quelques mois aux éditions Christian Bourgois. La traduction précédente de Francis Ledoux date de 1969. Quelle a été les raisons du choix de la nouvelle traduction de Le Hobbit ? Avez-vous été consulté pour ce choix ?
D.P. : Je ne sais pas. Je pense quil y a eu un accord entre Audiolib et les éditions Christian Bourgois. Jai écouté la première heure de lenregistrement, et je trouve que cette traduction est vraiment bien. Cela se prête bien à lécoute.
G : Cest le premier audiolivre de Tolkien que vous interprétez. Quel bilan tirez-vous de cette expérience ?
D.P. : Un grand plaisir, et en plus cest un bel objet. Je suis assez fier dy avoir participé.
G : Seriez vous prêt à recommencer avec un autre livre de Tolkien ?
D.P. : Ah oui avec plaisir, bien sûr ! Pourquoi pas Le Seigneur des Anneaux !
G : Justement, celui-ci devrait être retraduit par le même traducteur prochainement... Mais là cest beaucoup plus de travail.
D.P. : Oui, cest une grosse saga.
G : Vous naviez pas vu les films de Peter Jackson jimagine ? Il a une vision différente de celle de Tolkien, plus guerrière peut-être.
D.P. : Non en effet. Cest à dire que le cinéma quelque part met fin à limaginaire, à cause de limage. Un récit, chaque personne qui lécoute, développe son propre imaginaire. Cela reste ouvert. Le cinéma est un moyen de « fermer ».
G : Vous avez participé à de nombreux projets autour du fantastique ou de la science-fiction, notamment à travers les films de Jean-Pierre Jeunet. Sagit-il dun choix délibéré de votre part ou plutôt dopportunités ?
D.P. : Non, moi je prends tous les univers quon peut me proposer. Cest aussi une histoire de rencontres daffinités dans le travail et du scénario. La Cité des enfants perdus, ça me parlait. Cet univers un peu à la Dickens... Je dirai même que jai eu de la chance de le faire. En France, ce nest pas courant ce genre de films.
G : Vous avez vous-même des domaines de prédilection ? Vous me parliez tout à lheure de littérature nordique.
D.P. : Non, je vais dans tous les genres. Jaime bien les polars noirs. Jaime bien la littérature proprement dite. Il y a un auteur dont je suis pas mal de lectures, Jean Echenoz. Là je suis plus attiré par le style. Une façon dutiliser la grammaire qui est très précise.
G : Vous êtes un amoureux de la langue finalement, un peu comme Tolkien qui était philologue.
D.P. : Oui, je pense que ça se rejoint. Il ny a pas de mépris à avoir dun genre par rapport à un autre. À partir du moment où il y a plaisir de lecture. Donc Echenoz, la lecture de Proust aussi...
G : Belle coïncidence, lun des spécialistes français de Tolkien, Vincent Ferré, qui est directeur de collection chez Christian Bourgois et universitaire, est aussi un spécialiste de Proust.
D.P. : Cela me fait plaisir en somme. Comme quoi les genres ne sont pas à dénigrer.
G : Le plaisir de la lecture, vous lavez aussi en bande dessinée ?
D.P. : Jai un peu plus de mal avec la bande dessinée. Cest lhistoire des images, un peu comme le disait un poète « Ne mettez pas de la musique sur mes vers », parce que cela fait redondance si vous voulez. Cest pareil, on pourrait presque dire ça de la littérature, « Ne mettez pas des images sur mes mots ».
Ceci dit jai lu des bandes dessinées quand jétais petit. Jétais très Tintin. Jaimais beaucoup aussi une série un peu fantastique, aussi de Hergé : Jo, Zette et Jocko. Dailleurs, à propos de La cité des Enfants perdus, le personnage joué par Daniel Emilfork a été directement inspiré par le savant fou [dans Le Manitoba ne répond plus, nd Garion]. Peut-être faudrait-il que je my mettes aussi, à la bande dessinée.
G : Pourtant vous avez quand même travaillé dans un épisode de la série franco-britannique Metal Hurlant Chronicles. Comment est-ce arrivé ?
D.P. : Cest Guillaume Lubrano, le producteur-réalisateur de la série - brillant parce que tourner ce genre de série est loin dêtre évident - qui avait prévu toute une saison, mais tournait en anglais. Il avait donc besoin dacteurs, notamment français, sachant tourner en anglais. De fait on a tourné le tout en anglais, puis par la suite doublé en français. Il a vendu sa série un peu partout dans le monde, mais en France, cest difficile. Je correspondais au personnage, et il maimait bien. Jai apprécié lhistoire, même si au départ je ne connaissais pas. Je connaissais le magazine, mais ce nétait pas dans mes lectures. Les histoires se trouvaient dans Métal Hurlant, assez bien écrites.
G : On en revient toujours à cette qualité décriture. Outre vos lectures, vos rôles de cinéma, vous êtes aussi prolifique au théâtre. Dailleurs, vous avez une répétition prévue cette après-midi. Quel rôle travaillez-vous ?
D.P. : Cest à la Comédie des Champs-Elysées, une première série de répétitions. Cest pour La folle de Chaillot, une pièce de Jean Giraudoux, un auteur un peu négligé ou oublié, qui a écrit de très belles pièces. La pièce est mise en scène par Didier Long, et la folle est jouée par Annie Duperet. La première est le deux février. En même temps jai des dates de tournée sur une pièce que je joue avec Bruno Solo qui sappelle Louest Solitaire.
G : Cela fait très western comme titre.
D.P. : Oui absolument. En fait cet ouest, cest lIrlande. Cest une pièce qui se passe au fin fond du Connemara. Un univers très noir que jadore, et très drôle. Ce nest pas le Solo que lon a lhabitude de voir. Il sagit de deux frères qui reviennent de lenterrement de leur père et qui règlent leurs comptes, le tout sur fond dalcool et de bondieuseries. Lauteur est le même que celui qui a écrit le film Bon baisers de Bruges.
G : Est-il important pour vous de pratiquer votre métier face à un public ?
D.P. : Mon métier cest acteur. Donc que ce soit le théâtre ou le cinéma... je nai pas vraiment de préférence. Ce nest pas la même relation avec le public, mais le même métier. Cest prendre des masques différents.
G : Vous êtes dores et déjà à laffiche de L'Extravagant voyage du jeune et prodigieux T.S. Spivet (de Jean-Pierre Jeunet) et de Les Profs (de Pierre-François Martin Laval).
D.P. : Oui... Cest plus deux participations.
G : Quels sont vos prochains projets ?
D.P. : Au printemps, un film qui devrait se tourner en Afrique avec Albert Dupontel, mais rien de précis pour le moment. Jai aussi plein de projets de théâtre. Cest aussi le plaisir dapprendre des textes. Peut-être aussi Richard III que jaimerais faire, En attendant Godot. Je vais aussi reprendre Inconnu à cette adresse, une suite que nous avons commencée avec Gérard Darmon cette année. Cest un texte épistolaire sur deux personnes qui correspondent par lettre. Lhistoire dune amitié entre deux amis qui est divisée par la montée du nazisme en Allemagne. Cest assez court, mais magnifique. Donc le Théâtre Antoine a eu lidée de réunir deux acteurs, et depuis tous les mois cest deux acteurs différents.
G : Avec des interprétations forcément différentes.
D.P. : Voilà. Donc après nous, il y a eu Bruno Solo et Samuel Le Bihan, puis Thierry Frémont et Nicolas Vaude. En ce moment cest Pascal Elbé et Stéphane Guillon. Peut-être que je vais le reprendre avec Gérard.
G : Votre lecture actuelle ?
D.P. : Le dernier livre de Jean Echenoz, 14.
G : Et vos prochaines lectures ? Vous avez une « Pile À Lire » ?
D.P. : Je nai que ça... Cest un peu une maladie chez moi, jachète des bouquins tout en sachant que je nai plus le temps de lire.
G : Rassurez-vous, vous nêtes pas le seul !
D.P. : Jai relu La vie devant soi, de Romain Gary, sous le pseudonyme de Émile Ajar. Il y a eu un spectacle avec cette histoire fait par Myriam Boyer, elle a dailleurs eu un Molière avec cela. Cest un gamin avec une vieille dame, madame Rosa. Le style et la façon dont cest raconté est très beau. Je lis aussi un bouquin un peu psychologique sur les personnes manipulatrices. Cela me parle.
G : On reste dans le noir en effet. Cela vous parle parce que cela vous dérange dans un sens ou vous trouvez ça fascinant ?
D.P. : Non, je ne trouve pas cela fascinant du tout. Cest juste pour moi... pour essayer de comprendre certaines choses.
G : Un dernier message pour nos lecteurs ?
D.P. : Écoutez Le Hobbit !
G : Merci de mavoir accueilli dans ce « Dernier Bar avant la fin du monde ». Peut-être pourrions-nous le traduire en « Dernière maison hospitalière avant la sauvagerie ». Vous y croyez en cette fin du monde ?
D.P. : Non, il y a eu beaucoup de fins du monde dans lHistoire de lhomme. Des fins de cycles. Je crois que nous sommes de trop petits êtres pour savoir exactement où lon en est. Un peu comme les Hobbits.