Une rivière, une voiture, deux malfrats et une femme enfermée dans le coffre. On l'en sort et elle se retrouve les pieds dans l'eau avec un flingue pointé sur elle. Deux coups plus tard, elle est toute mouillée.
Mais revenons un peu plus tôt, vingt-sept heures pour être précis. Dex Parios est une jeune femme détective privée, plutôt mignonne même si elle ne fait rien pour se mettre en valeur, mais qui n'a pas de chance aux jeux. Au Whispering Inds, elle vient de perdre encore une forte somme et Sue-Lynne, la patronne, veut la voir. Dix-sept mille six cent seize dollars, c'est l'ardoise que Dex a accumulée dans l'établissement. Et, bien sûr, elle ne peut pas payer. Du coup, Sue-Lynne lui propose un marché : si elle retrouve sa petite fille, Charlotte, elle effacera son ardoise. Fugue ou enlèvement ? Charlotte est une belle jeune femme et il ne serait pas improbable qu'un jeune mâle aux hormones trop parlantes s'en soit pris à elle.
Mais pour l'instant, Dex a besoin de dormir et de voir comment va son frère, Ansel. Il est trisomique mais Dex le laisse seul chez elle pendant la nuit. Il l'a passé sur la console à jouer. Il faut quand même qu'il se repose un peu, parce qu'il travaille dans quelques heures. Et cela vaut aussi pour Dex. Au réveil, elle file voir l'appartement de Charlotte. Elle découvre que la jeune femme n'a pas oublié son shampoing alors qu'elle a laissé sa voiture. Et en sortant de l'appartement, elle va faire la connaissance de Dill et La Baleine, ceux qui lui tireront deux balles dans le buffet quelques heures plus tard.
Mais dans quoi Charlotte a-t-elle bien pu se fourrer ? Et dans quoi Dex est-elle embarqué ?
Les éditions Delcourt sont sous le signe du polar en ce moment. Après les premiers tomes de Fatale et Le maître voleur, voici Stumptown. Nous suivons les enquêtes d'une détective privée qui n'a pas la langue dans sa poche mais n'a pas non plus la moitié d'une motivation. Quand elle a décidé qu'elle mènerait une enquête, surtout si ça sent le pâté, vous pouvez être sûrs qu'il fera tout pour la mener à son terme. Quitte à se faire tirer dessus. On pourrait qualifier Dex de têtue. Dans ce premier tome, nous découvrons donc son caractère trempé en entier, mais aussi son univers. Ne pas la laisser être seulement une enquêtrice et lui donner ce frère dont elle doit s'occuper donne l'impression d'un univers complet et pas seulement une partie d'un tout qu'on ne regarderait que par le petit bout de la lorgnette.
Greg Rucka nous tient en haleine depuis les toutes premières pages. Forcément, quand l'héroïne se fait tirer dessus dès les premières pages, on a envie de savoir comment cela est arrivé. Il a ferré le poisson aux premiers instants ; on sent qu'il sait très bien ce qu'il fait. On remonte ensuite le temps et on découvre des relations avec le milieu mafieux, mais pas la petite frappe des rues, non, le gros poisson qu'on a du mal à garder au bout de sa ligne.
Pour servir ce scénario prenant, Greg Rucka fait équipe avec Matthew SouthWorth. Il possède un trait très encré avec un soupçon de Sean Phillips dedans. Son dessin est expressif, même s'il y a encore quelques approximations à corriger. La colorisation joue aussi un grand rôle ; nous ne sommes pas dans des couleurs réelles mais plutôt dans des nuances qui évoluent en fonction des pages : là ce sera plutôt de l'orangé qui prime alors qu'ici on sera dans les tons bleus. Le tout permet de poser l'ambiance de manière beaucoup plus rapide.
Ce premier tome de Stumptown remplit parfaitement sa mission. Des trois polars sortis en peu de temps, je pense même que c'est le plus percutant. Vivement que la suite nous arrive.