S'il s'agit certes d'un chant sacré, et de plus en plus à mesure qu'on avance, surtout dans la troisième partie, le titre plus fréquemment employé de Divine Comédie n'est pas celui choisi par son auteur. Cette édition a été voulue par son traducteur, et présentateur dans cette édition, comme la plus proche possible du texte autorisé par la Società Dantesca Italiana, et il s'en explique en préface.
Il a également choisi de publier le texte seul, sans notes explicatives, sauf à préciser quelques points en postface, confiant en la force de la poésie du texte. Cette décision ne facilite pas la lecture. En effet, Dante a des références culturelles qui ne sont pas du tout les nôtres, ce qui n'a rien d'étonnant, à huit siècles d'écart. Passe encore pour les références géographiques de la péninsule italienne, astrologiques, ou mythologiques (exemple, au début du Purgatoire : La belle planète qui porte à aimer / mettait un sourire par tout l'orient, / voilant les Poissons qui formaient sa suite.). Passe même pour le contexte de la longue querelle entre guelfes (partisans du pape, grosso modo) et gibelins (partisans de l'empereur, si l'on veut), compliqué ici par le fait que Dante est un guelfe qui a la dent plus que dure contre la papauté. Mais il rencontre, dans les trois parties du poème, des personnages politico-religieux dont nous ne savons plus rien, sans même parler de ceux auxquels il fait de simples allusions, certainement transparentes pour les lecteurs de son temps, mais totalement sibyllines pour nous.
Par ailleurs, j'avoue avoir échoué à comprendre pourquoi le traducteur a choisi de traduire "Italia" par "Ytaille". Certes, utiliser le terme "Italie" en français pose un problème, du fait qu'un lecteur distrait ou mal informé pourrait penser qu'on parle de l'Etat que nous connaissons, ce qui n'est absolument pas le cas, bien sûr. A l'époque où La Comédie est écrite, il s'agit d'une mosaïque d'états, parfois de villes souveraines, souvent en guerre entre eux, et dont chacun a sa propre politique et ses propres alliances. De là à inventer un mot qui n'existe absolument pas en français, alors que l'auteur utilise le terme connu depuis l'Antiquité pour désigner l'entière péninsule, il y a un grand pas.
Cela dit, heureusement il reste le texte de Dante, et même si on perd une grande partie du fond il reste une forme superbe, et des images fulgurantes. Je ne citerai pas le tout début de l'Enfer, bien connu, mais les premiers vers du Purgatoire sont tout aussi remarquables : Pour courir des eaux meilleures, désormais / lève les voiles la nef de mon esprit, / laissant derrière soi mer si cruelle ; / et je chanterai ce second royaume,... comme d'autres, sur la vie humaine, ne peuvent que nous toucher encore : La rumeur du monde n'est rien qu'un souffle / de vent, qui vient tant çà, tant de-là, / et change de nom en changeant de côté. / Quelle gloire auras-tu de plus, en quittant / une chair vieillie, que si tu étais mort / à l'âge des bouillies et des hochets, / avant que soient passés mille ans ? plus court / laps face à l'éternité qu'un cillement / face au cercle du ciel qui le plus lent tourne.
En somme, un texte majeur, fondateur de la langue et de la culture italiennes, certes, mais aussi de toute la culture occidentale, et qu'il faut avoir lu.