Les Chroniques de l'Imaginaire

Retour sur l'horizon - Collectif

Dans la préface de ce recueil de nouvelles, Serge Lehman fait un état des lieux de la science-fiction en France.

Le genre a toujours souffert d'un manque de considération en Gaule, constate-t-il avec un brin d'amertume. Il est régulièrement sous-estimé, traité avec hauteur et morve, accusé d'être une littérature non seulement aride mais pauvre sur le plan du style, des idées et des personnages. Cette condescendance presque incompréhensible est irritante, et ce mal perdure depuis plus d'un siècle désormais.
J'avoue ne pas partager à cent pour cent le constat sur les causes de cette mauvaise presse (bien que globalement en accord avec lui). J'ai eu le loisir d'avoir entre les mains une édition de Les Chefs d’œuvre de la SF ( datant des années 70) avec une préface de Vernet du roman emblématique En Terre étrangère de Heinlein. Quelle ne fut pas ma surprise de lire un pamphlet à l'encontre de l'auteur, de son œuvre et du genre en général ! Cela m'avait interloquée, et j'ai un peu creusé cet aspect. J'en suis venue à la conclusion que l'appréciation partiellement négative et la pénible pénétration du genre dans la sphère littéraire française avait des causes dogmatiques. La science-fiction est pour certains un vecteur de l'impérialisme culturel américain, et il suffit de constater quels étaient les organes régulateurs de la culture en France, essentiellement après la seconde guerre mondiale. Bien entendu, cette aura négative a déteint sur l'accueil de notre production autochtone.
Ainsi, Serge Lehman nous propose-t-il de remarquer que la science-fiction est un art littéraire à part entière contrairement à la position de quelques grincheux intolérants, et ce à travers quinze récits. Il nous promet donc de découvrir toutes les saveurs du genre et souhaite nous prouver que c'est une littérature propice à l'émerveillement et à la réflexion.

Ce qui reste du réel de Fabrice Colin
Fabrice Colin écrit à Serge Lehman pour lui dire qu'il avait bien eu l’intention d’écrire un texte pour son anthologie. Le sujet de sa nouvelle avait pour thème Philip K. Dick. Mais voilà, il s’est trouvé dans un refuge à la montagne et est tombé sur le texte de l’auteur Emmanuel Werner qui était identique à celui que Fabrice avait l’intention de lui proposer. D’où ses excuses pour l’absence de texte.
Tout en reconnaissant la prouesse intellectuelle, je n’ai pas vraiment goûté à cet exercice.

Effondrement partiel d’un univers en 2 jours de E Werner
Ambrose Melanko enquête dans un refuge de montagne pour retrouver la tête perdue d’un Philip K. Dick androïde. Se rendent également au chalet Eléonora, une jeune femme qui ne sait pas qui elle est et pourquoi elle est là, Jane, et son frère Philip qui n’est autre qu'un mannequin en fauteuil roulant.
Le texte joue sur la prise de conscience de la jeune femme de sa nature réelle : un androïde, et par conséquent elle n’existe pas en tant qu'être humain. C’est alors que tout l’univers s’écroule...
Il s’agit de la reprise de l’idée globale de Philip K. Dick, qu'il y a autant d’univers que d’êtres humains. Chacun se «raconte», interprète son histoire, de là à conclure que nous sommes tous des androïdes à l’image d’Eleonara, ou que nous ne sommes que fiction.
La préface m’avait mis l’eau à la bouche, et le retour sur l’horizon terrestre n’a pas été sans heurt. Du coup, je n’ai pas été franchement emballée par ce deuxième texte m’attendant à un émerveillement tant au niveau du style que de l’histoire. Mais finalement, malgré un premier tiers un peu longuet, j’ai apprécié la façon dont l’histoire était menée, l’utilisation réussie de la pensée de Philip K. Dick ainsi que la fin.

Tertiaire d’Eric Holstein
Dans ce monde où tout se vend et tout s’achète, Emerson Mighty est un trader mais il se voit confronté à un confrère sans scrupule.
Si l’histoire n’est guère originale contrairement à l’introduction de Lehman, Eric Holstein déploie toute son imagination pour décrire un monde asséché et déshumanisé. Le procédé qui consiste à généraliser le mode de vie d’une infime fraction de la population mondiale pour nous vendre un futur sans richesse aucune a tendance à souffler ma flamme. Ici, aussi l’émerveillement promis est absent.

Une fatwa de mousse de tramway de Catherine Dufour
Setier est un commercial d’une grande entreprise qui vend toutes sortes de biens à divers clients. Un jour où il est pris par le temps, il bâcle l’étude des caractéristiques techniques pour l’une d’entre elles, propriétaire de centrales nucléaires. Les conséquences s’avèrent désastreuses.
Catherine Dufour nous livre une histoire sympathique qui pourrait fort bien se dérouler de nos jours. La plume est présente et même bien acérée. Du bon.

Les Fleurs de Troie de JC Dunyach
Le personnage principal voit avec tristesse et désarroi sa compagne s’éloigner de plus en plus de lui alors qu'elle consacre plus de temps à son monde virtuel. Sans espoir de reconquérir son amour, il décide de s’enfuir dans les astéroïdes.
Je n’ai pas réussi à achever la lecture de cette nouvelle qui a fini par m’ennuyer. Le rythme trop lent n’a pas réussi à me captiver - ou alors en attendais-je trop. En revanche, le style y est.

Pirate de M Stephan-Bagni
Thomas (ou pas) est un illustrateur pour une administration, l’ANA. Il est convoqué pour des formalités administratives, mais en se rendant sur le lieu de rendez-vous, il découvre un immeuble qui n’est pas censé exister.
Ce texte, court et dynamique, est très plaisant. L’ambiance, la situation saugrenue et la plume m’ont enchantée. Beau travail.

Trois singes de L. KLOETZER
Un ancien agent devenu terroriste décide de semer la mort au sein de la diaspora musulmane par le biais d’un virus . Les choses ne fonctionnent pas comme prévu, bien entendu...
Un excellent texte que j’ai apprécié malgré un univers et une ambiance assez sombres. Ce récit est bien maîtrisé et rondement mené. De plus l’humour de Kloerzer parvient à contrecarrer cette noirceur et le lecteur passe un fort bon moment.

Lumière Noire de T. Day
Suite à l’accident de singularité - Lumière Noire - les réseaux informatiques de la planète se sont totalement coupés, la plongeant dans le chaos et un univers post-apocalyptique. Les survivants cherchent donc à composer avec cette nouvelle donne.
L’univers post-apocalyptique que l'auteur nous offre ne présente rien d’original, pas plus que son thème principal, la survie. Mais comme T. Day sait raconter une histoire, c’est un bon récit et un bon moment de lecture, même si je reprocherai une fois encore l’absence de l’émerveillement promis.

Temps mort de A. Ruellan
A. Ruellan nous propose d’assister à l’agonie d’un mourant.
Bien angoissant et je recherche encore les raisons de sa présence dans cette anthologie. Point d’émerveillement, point de plume enlevée et poétique, et quel intérêt ?

Les 3 livres qu’Absalon Nathan n’écrira jamais de L. Henry
L’économie de la cité-état dans laquelle Cantor travaille repose primordialement sur la culture. Les artistes sont donc à la fois une source de richesse et une «denrée» nécessaire. Les activités de Cantor consistent à s’occuper des artistes en voie de perdition, parmi eux Absalon Nathan.
La lecture de ce texte m’a rendue admirative de l’inventivité de l’auteur, de la fluidité de l’écriture et de l’enchaînement sans faille de la trame. Mais voilà - à l’image d’un roman récent The City & The City de Miéville, tout le ressenti est cérébral et aucune émotion particulière qui vienne du cœur. Bref, c’est du bel ouvrage, c’est «canon» comme les statues grecques qui me laissent de marbre.

Penchés sur le berceau des géants de Daylon
Des géants vivent sur Terre. Lors de leur arrivée sur notre bonne vieille planète, ils ont amené leur technologie, plus avancée que celle des hommes. Le héros semble être une métaphore de la jeune génération actuelle : blasée et égocentrique. Il accompagne sa douce amie chargée de trouver une parade aux dangers qui guettent les géants.
La plume de Daylon délivre un récit empreint d’une poésie quasi visuelle. C’est un des textes qui atteint presque la cible : une forme d’émerveillement.

Dragonmarx de P. Curval
Les derniers communistes se sont retranchés dans un immense fort à Vienne : Dragonmarx. Ils tentent de faire «adhérer» les habitants des quartiers voisins à leur dogme par tous les moyens, coercition comprise. Le tout pour finalement affronter le grand méchant, la Némésis de l’homme, la source des maux : l’Hydre (capitaliste).
Bofffffffff. Convenu, rien de nouveau. D’un autre âge.

Terre de fraye de J. Noirez
La côte est peu à peu engloutie par des créatures marines générées par le phénomène Bloop. Un surfer tombe un jour sur l’une d’entre elles. L’intérêt et la curiosité sont réciproques. Mais, il n’est pas au bout de ses surprises.
Cette nouvelle est truffée d’humour et de passages cocasses, même des «guest stars» s’invitent ! J. Noirez confirme ici sa créativité : les créatures marines sont assez exceptionnelles, les situations prêtent au sourire et au rire. Les personnages sont marquants, notamment le japonais saoul à longueur de temps. Belle plume, humour, et science-fiction : un cocktail détonnant. Ce n’est peut être pas la meilleure nouvelle, mais la plus jouissive.

Je vous prends tous un par un de D. Calvo
Cette nouvelle très courte est assez farfelue et joyeuse. Après quelques textes noirs et parfois un poil angoissants, cette dernière est bienvenue et agréable. Je me suis régalée ! Une réussite au niveau des attentes de la préface.

Hilbert Hôtel de X. Mauméjean
Un univers étouffant, enfermé dans ses contraintes et ses contradictions sociales. Il manque un souffle novateur et un peu de dynamisme. J'y suis passée à côté.

En conclusion, l'anthologie n'est pas à la hauteur de l'attente suscitée par la préface. Elle n'en est pas mauvaise pour autant. Elle effleure sa cible sans jamais l'atteindre tout à fait, et il faut bien avouer que quelques récits dénotent. Une petite déception qui peut être atténuée en modérant nos exigences de lecteur.