Les Chroniques de l'Imaginaire

Hiver (Le Demi-monde - 1) - Rees, Rod

Imaginez un monde généré par ordinateur en éternel conflit où la plongée est si réaliste que jamais vous ne pourriez imaginer être dans une création virtuelle. Tout ce que vous vivez et ressentez vous semble totalement et indiscutablement réel. Vous êtes plongés au coeur du Demi-monde, un programme créé et développé pour l'armée américaine afin de permettre à ses troupes de s’entraîner dans un environnement de guerre asymétrique ou pour le dire plus simplement de guérilla. Dans ce monde, plusieurs puissances s'affrontent sans fin, dirigées par les Dupes (doubles virtuels) d'hommes tristement célèbres pour leur brutalité et leur barbarisme comme Staline, Heydrich… Lancé il y a quatre années, le programme a été conçu pour se développer de lui-même afin de préserver son imprévisibilité et permettre une plongée réaliste dans un univers dangereux et en constante évolution. Seulement il semblerait qu'il y soit bien, trop bien parvenu.

Non seulement les dupes retiennent prisonniers dix-sept soldats mais les portes d'accès qui permettent d'entrer et de ressortir de la simulation ont été fermées à l'exception d'une. Pire encore, la fille du président, Norma, a été entraînée dans le Demi-monde et s'y trouve actuellement coincée. Impossible donc de simplement supprimer le programme sans la tuer. C'est pour cette raison que l'armée a besoin de l'aide d'Ella, une chanteuse de jazz afro-américaine de dix-huit ans, pour une mission d'infiltration et d'exfiltration. Seulement, ce qu'on propose à la jeune femme sans expérience militaire et dont la seule qualité est de correspondre au profil physique recherché, c'est ni plus ni moins qu'une plongée en enfer, sans garantie de retour. Il faudrait être folle pour accepter... ou totalement fauchée et la promesse de cinq millions de dollars finira par la décider.

Bienvenue dans la réalité virtuelle, bienvenue dans le Demi-monde, bienvenue en enfer !

Ce premier tome de la série Le demi-monde, qui en comptera quatre, nous projette dans un univers virtuel particulièrement violent et réaliste, une dystopie de notre monde bloquée à la fin du XIXème siècle. Dès le départ, on plonge au cœur de l'action avec la fuite éperdue de Norma qui tente d'échapper aux SS. Assez vite, on pourrait se laisser décontenancer par les nombreux termes étranges qui émaillent le récit. On se demande où on est tombé. Mais dès le second paragraphe, toutes les réponses ou presque à nos questions arrivent. A noter que la plupart des mots inventés sont expliqués dans le glossaire en fin de tome mais encore aurait-il fallu être au courant de la présence de ce dernier.

Rod Rees réussit le pari de nous entraîner dans un univers factice qui pourtant comporte de nombreuses réminiscences de notre propre histoire. Ce monde violent, raciste, antisémite, machiste semble être un concentré de tout ce que notre histoire a pu engendrer de pire, ce qui le rend terriblement crédible. C'est dans cet environnement que vont évoluer trois personnages centraux tous féminins et tous très différents. Au fil des chapitres, l'alternance des points de vue entre elles va ajouter du rythme à l'histoire. Ce qui aurait pu n'être qu'une mission de sauvetage va vite se transformer en une opération beaucoup plus vaste mais ne gâchons pas le suspense.
Que ceux qui craindraient trouver un récit assez technique sur le thème de la réalité virtuelle se rassurent. En fait, ce n'est qu'un prétexte à la création d'un monde bien spécifique et il n'est absolument pas développé par la suite. On finit d’ailleurs par oublier qu'on se trouve dans un environnement créé de toutes pièces et entièrement faux… à l’instar des personnages.

Seul bémol : les tentatives de romance qui, pour ma part, tombent à plat. On dirait presque qu'il a été demandé à l'auteur de rajouter quelques touches romantiques alors que l'histoire se suffisait à elle-même, sans avoir besoin que les hormones de l’héroïne soient tout à coup chamboulées par le héros. Cela n'apporte rien à l'histoire et ça sonne surtout creux. Mais heureusement, ces apartés sont très rares.

Ce premier tome rythmé, haletant et innovant se dévore et le final nous entraîne irrémédiablement à désirer la suite, vite.