Les Chroniques de l'Imaginaire

Abymes (Abymes - 1) - Mangin, Valérie & Griffo

Nous sommes à Paris, en mai 1831, dans l'imprimerie chargée de sortir le journal La revue de Paris. C'est Amédée Pichot qui en est responsable, et l'homme vient demander une correction très tardive qu'il va falloir prendre en compte pour l'édition du lendemain. Normalement, c'est un épisode du roman La peau de chagrin d'Honoré De Balzac qui devrait être imprimé, mais le célèbre auteur aura une bien drôle de surprise le lendemain...

C'est dans son appartement de Bayeux, alors qu'il vient de terminer un passage de La peau de chagrin, qu'Honoré De Balzac découvre ce qui est imprimé dans La revue de Paris... Pichot y fait apparaître l'auteur lui-même, en racontant sa jeunesse, avec des détails pour le moins très précis et très personnels. Balzac a bien du mal à cacher sa surprise, d'autant que le journal raconte la propre réaction de surprise de l'auteur dans ses colonnes !

En fait, le procédé imaginé dans ce récit est ce qu'on appelle une mise en abyme : le personnage principal se retrouve lisant ses propres réactions par rapport à sa propre histoire. D'abord décontenancé, Balzac finit par accepter l'idée, et la trouver même excellente : peu d'auteurs ont pu avoir leur biographie de leur vivant, et même si la femme de Balzac ne voit pas cela d'un très bon œil, l'auteur laisse faire et décide de ne pas contacter Amédée Pichot.

Mais au fil des jours, le feuilleton ainsi créé devient de plus en plus troublant, et met en lumière un Balzac qui est loin d'être mis à l'honneur. On bafoue les premières œuvres de l'écrivain, on fait mention du fait qu'il était l'homme à tout faire de François Andrieux, on lui prête une aventure avec la jeune et jolie femme de ce dernier... Bref, bientôt, Balzac devient la risée du Paris littéraire, et il est maintenant plus que temps d'aller trouver Pichot afin de lui demander d'arrêter cette sombre mascarade...

Mais les ventes de La revue de Paris ne se sont jamais aussi bien portées, avec parfois trois tirages dans la journée. Pichot refuse d'arrêter cela, même sous la menace de ne plus recevoir les futurs romans d'Honoré De Balzac. D'ailleurs, Pichot dit ne pas connaître l'auteur de cette mise en abyme, laissant Balzac bien seul pour mener sa propre enquête qui le détruira à petit feu...

Valérie Mangin et Griffo n'en sont pas à leur première collaboration, puisqu'on leur doit déjà Petit Miracle, un excellent diptyque paru il y a quelques années chez Soleil. C'est donc tout naturellement avec un grand plaisir qu'on ouvre ce premier tome de Abymes, qui paraît dans la prestigieuse collection Aire Libre chez Dupuis, et dont le troisième tome parlera justement de Valérie Mangin elle-même.

Quel excellent premier tome nous tenons là en tout cas ! Honoré De Balzac est un personnage très attachant, parfaitement réussi. L'homme est charismatique et on le suit avec un vif intérêt à travers ce tome. On l'accompagne dans la surprise, puis dans la détresse face à un phénomène littéraire qui va l'atteindre de plus en plus, de façon inexorable.

Les autres personnages de ce tome sont également très fouillés et intéressants, et en cela, il ne fait aucun doute que le coup de crayon de Griffo y est pour beaucoup : on voyage avec un pur bonheur dans ce Paris ancien : les décors sont plus que soignés et fourmillent de détails, les personnages ont des expressions qui sonnent toujours juste. On a vraiment cette impression d'achevé : aucune case de ce livre ne semble avoir été laissée au hasard...

Ce premier tome de Abymes est un trésor d'humour et d'intelligence, aux dialogues subtils et au rythme parfaitement soigné. Le dessin est de son côté un vrai bonheur : il est impensable de ne pas posséder ce joyau, dont j'attends maintenant la suite avec impatience, dans sa bibliothèque !