Les Chroniques de l'Imaginaire

Le silence du bourreau - Bizot, François

En 1971, alors qu'il fait des recherches sur le bouddhisme au Cambodge, François Bizot est enlevé par les Khmers rouges avec Lay et Son, ses deux collègues cambodgiens. Tous trois se retrouvent au M.13, un camp dirigé par un jeune homme, que François Bizot connaîtra sous le nom de Douch. Entre le révolutionnaire convaincu et fervent patriote, et son prisonnier, qui essaie autant qu'il le peut de fournir une déclaration d'innocence convaincante, une relation se noue au fil des interrogatoires. C'est grâce à Douch que François Bizot sera libéré, après près de trois mois de détention, soulagé mais avec la culpabilité de laisser derrière lui Lay et Son. Et le camp semble rapidement disparaître de sa mémoire.
En 1988, il reconnaît Douch comme l'ancien directeur (en fuite) de S.21 (Tuol Sreng), où des milliers de personnes ont été tuées après avoir été torturées.
En 1999, quand Douch, qu'il croyait mort, est arrêté, il rédige Le portail, qui raconte ses souvenirs de son internement à M.13.
Dix ans plus tard, en 2009, il témoignera au procès du bourreau.

La position de l'auteur est particulière, et d'une intransigeante honnêteté, en ce qu'il ne s'aveugle pas sur les capacités de malfaisance de Douch, ni n'excuse les actes commis par lui-même ou sur ses ordres, mais n'oublie pas pour autant qu'il lui doit la vie, ni que sa fille aînée lui doit d'avoir un père. Par ailleurs, il refuse de voir en lui un monstre, si on entend par là quelqu'un qui ne serait pas humain.

Il est vrai que son argument selon lequel voir les bourreaux comme des monstres inhumains, au lieu de les voir comme des humains qui ont laissé parler une part humaine en eux muselée par la majorité, ôte toute chance de comprendre les mécanismes à l'oeuvre, et d'en empêcher la répétition, est convaincant. Après tout, c'est ainsi que l'on a jugé ces grands dignitaires nazis à Nuremberg, par exemple, et on ne peut pas dire que ces procès nous aient protégés de crimes contre l'humanité ultérieurs...

L'auteur est un chercheur, et son écriture est à la fois descriptive et précise là où les faits sont concernés, mais plus difficile à suivre quand il s'agit de décrire ses sentiments. Il n'empêche que ce texte court mérite amplement le détour, qu'on ait ou pas lu Le portail.