Les Chroniques de l'Imaginaire

Le convoi (Le convoi - 1) - Lapière, Denis & Torrents, Eduard

Nous sommes en novembre 1975, au Gambrinus, un café montpelierrain. Angelita y prend un verre avec Richard Vidal, le directeur de la comptabilité de Alpha-Pharma, la boîte qui l'embauche depuis maintenant dix-sept années. Cela fait plusieurs fois maintenant que ces deux-là prennent un verre ensemble après leur journée de travail, et Roger Vidal devient de plus en plus entreprenant. Il faut dire qu'Angelita est toujours très jolie, même si elle est mariée et mère de deux grands enfants.

D'ailleurs, encore une fois, elle entre bien vite à son domicile, non sans commencer à s'interroger sérieusement sur ce qu'elle fait. Son mari est un professeur gentil et attentionné, et il en va de même pour son fils, étudiant et encore au domicile conjugal. Mais il y a tout de même ce brin de folie qui semble manquer à Angelita, elle qui fait un travail qui ne l'intéresse pas depuis toutes ces années.

Mais un matin, un simple coup de fil fait tout basculer : René, le beau-père d'Angelita, appelle pour annoncer que la mère d'Angelita a fait une attaque cardiaque à Barcelone, alors qu'elle était censée être en Auvergne. De toute évidence, la vieille femme a menti à son homme, et ce dernier est bien troublé. René et Angelita n'ont ainsi pas d'autre solution que de se rendre à Barcelone pour y retrouver la mère d'Angelita. L'occasion pour eux de revenir sur le passé, et sur la fuite des deux femmes de l'Espagne...

A l'époque, c'est Franco qui est au pouvoir en Espagne. Nous sommes en pleine seconde guerre mondiale, et de nombreux espagnols fuient le pays, en direction de la France via les Pyrénées. Le père d'Angelita faisait bien partie de l'expédition avec sa femme et sa fille, jusqu'à ce que les hommes soient séparés des femmes... Angelita se souvient avec émotion de ces moments déchirants, qui mêlent l'histoire de cette famille au sein de la grande Histoire.

Et il faut reconnaître qu'un scénariste comme Denis Lapière est tout trouvé pour nous faire revivre ces scènes douloureuses de l'Espagne. Le scénariste est secondé ici par Eduard Torrents, espagnol de son état, pour mettre en image l'histoire de son propre pays. Et le résultat est là : tout simplement magnifique.

Ce premier tome de Le convoi respire la sincérité : les personnages sont travaillés, profonds, charismatiques. C'est avec plaisir qu'on admire les expressions d'Angelita, une femme forte, qui a vu des choses qu'il n'aurait pas fallu voir lorsqu'elle était enfant. Bien évidemment, nous assistons en tant que lecteurs à ces évènements, qui sont l'occasion de voir que des camps existaient dans notre propre pays, où les réfugiés étaient parqués comme des animaux. De quoi nous rappeler au passage un peu d'actualité...

La mère d'Angelita est également très travaillée, notamment dans sa jeunesse. La tendresse réciproque entre René et sa belle-fille est tout simplement touchante.

Les auteurs parviennent ici à mêler l'Histoire et la tranche de vie, dans un premier tome qui ne laissera personne indifférent. Un livre profond qui n'est pas sans rappeler le récent A l'ombre du convoi, ou encore le one-shot Page noire, sur la forme plutôt que sur le fond, et qui arrive à en atteindre la qualité qui avait déjà été vantée dans ces pages. Une série qui vaut vraiment le coup d'être découverte, et qui se terminera dès le mois prochain avec la suite et fin de ce diptyque.