Nous sommes en 1993, à Paris. Comme beaucoup d'étudiants, Valérie Mangin aime venir flâner du côté de chez Gibert Joseph, afin d'y débusquer quelques trésors d'occasion, en bande dessinée, ou encore en musique ou cinéma. La jeune fille est mordue de bande dessinée depuis toujours, et c'est avec beaucoup d'étonnement qu'elle déniche le premier tome de Abymes, dans la très prestigieuse collection Aire Libre de chez Dupuis. Ce qui est surprenant, c'est de voir que la scénariste de ce livre s'appelle également Valérie Mangin...
La jeune Valérie n'a pas trop de moyen, et elle doit vivre dans une petite chambre dans un établissement tenu par des bonnes soeurs. La dépression guette, et ce sont les bandes dessinées qui parviennent encore à procurer du plaisir à Valérie. Mais le premier tome en question est bientôt volé à Valérie. Et bien évidemment, il n'y a aucun moyen de remettre la main dessus. Ce qui est fou, c'est qu'aucun libraire n'a entendu parler de ce livre, qui n'existe tout simplement pas, en tout cas pas en 1993 !
La librairie Fantasmagories est de celles là, mais elle a une petite particularité : Denis Bajram, le dessinateur de Cryozone, sera là en dédicace dans une heure. La rencontre entre Valérie et Denis a lieu là, pendant que Denis dessine un Hulk à Valérie. Elle se poursuivra bien vite dans un bar des environs, en plein milieu des quartiers parisiens intéressants en terme de BD.
Valérie et Denis filent vite le parfait amour : Denis parvient même à influer sur l'avenir de scénariste de sa nouvelle compagne. Et puis, il y a le choc, chez Pêle-Mêle, le temple de la BD à Bruxelles... Après tout ce temps, nous sommes dans les années 2000, et Valérie tombe de nouveau sur la série Abymes, avec les deux premiers tomes de la série. L'un est consacré à Balzac (celui qu'elle avait déjà lu en 93), et l'autre est consacré au cinéaste français Clouzot, qui a justement fait un film sur la vie de Balzac.
Le plus étonnant réside dans le troisième tome, où Valérie Mangin tombe sur sa propre vie, et sur sa rencontre avec Bajram ! Le couple a ainsi entre les mains trois livres censés sortir en 2013, et chez Dupuis qui plus est (et non chez Soleil ou chez Quadrants solaires comme ils en ont l'habitude)...
Ce troisième et dernier tome de Abymes est un véritable bijou de scénario ! Il s'agit là d'une rétrospective en abyme de la vie de Valérie Mangin et de son compagnon Denis Bajram (l'auteur, faut-il encore le rappeler, de Universal War One, ou encore de Trois Christs). Ce tome est un hymne au petit monde de la bande dessinée actuelle, avec un clin d'oeil aux dédicaces et aux auteurs qui n'en font plus, aux salons, aux tensions qui règnent entre les éditeurs, à tout un petit monde si important pour beaucoup.
Le scénario de Mangin est absolument sans faille, avec une boucle qui sera bien évidemment parfaitement bouclée, et ce en prenant les trois tomes en compte. Le triptyque s'en sort plus que bien, et n'a nullement besoin de rougir en comparaison des autres perles qui sont disséminées depuis tant d'années maintenant dans cette si belle collection Aire Libre. Les auteurs en jouent, s'en amusent. Les éditeurs également, sans doute, avec ces apparitions de Scotch Arleston, le monsieur Lanfeust de chez Soleil, et de Mourad Boudjhellal. On entendra également parler de Griffo et de Malnati (les dessinateurs des deux premiers tomes), et également de monstres actuels comme Mathieu Lauffray pour ne citer que lui.
Côté dessins, on retrouve avec plaisir le travail de Denis Bajram, réaliste à souhait, mettant l'accent sur la justesse des expressions, et sur les somptueuses ruelles parisiennes.
Ce livre est plus qu'une simple bande dessinée : c'est le reflet de la maturité pour de grands auteurs encore jeunes, mais qui auront sans doute encore de bien belles pages à écrire. A découvrir absolument et dans son ensemble, que l'on connaisse ou pas Valérie Mangin et Denis Bajram !