Les Chroniques de l'Imaginaire

Tau Zéro - Anderson, Poul

Les cinquante passagers du vaisseau spatial Leonora Christina ont été sélectionnés avec soin : ils ont des esprits brillants, mais surtout un profil psychologique très stable. Il faut dire qu’ils embarquent pour un voyage de cinq années en temps propre, mais qui les conduira à près de trente années-lumière de là. S’ils reviennent un jour, il se sera écoulé plus de soixante années sur Terre. Un effet de la relativité, qui seule rend envisageable cette expédition exploratoire vers le système de Beta Virginis et la planète accueillante qu’il abrite peut-être.

Hélas, dans l’espace les surprises sont nombreuses et peuvent s’avérer dramatiques. Le vaisseau est endommagé en traversant un nuage de poussières interstellaires. De mauvaises surprises en mauvaises surprises, le vaisseau est pris dans un engrenage infernal : pour espérer survivre, il faut accélérer encore et encore, atteignant des vitesses difficilement imaginables pour l’esprit humain. Faire tendre le facteur Tau vers zéro, et donc la vitesse vers l’infini. Cette vitesse folle va entraîner le Leonora Christina et ses passagers immensément loin… dans l’espace… et dans le temps, leur temps propre s’écoulant infiniment plus lentement que celui de l’espace dans lequel ils évoluent !

Pourquoi ce roman, paru en version originale en 1970, a-t-il dû attendre aussi longtemps pour être publié en France ? Voilà qui est surprenant, au vu de sa qualité. Il s’agit d'un roman de hard-SF, très détaillé techniquement. Heureusement, quarante ans après sa date d’écriture, il a plutôt bien vieilli et reste d’actualité. Certes, quelques points de détail dans l’histoire ou l’aspect scientifique sont un peu dépassés, mais dans l’ensemble ce roman pourrait presque avoir été écrit de nos jours. Il faut d’ailleurs noter que le livre inclut une postface très détaillée de l’astrophysicien Roland Lehoucq, qui met en avant la rigueur scientifique du texte et critique (j’emploie ce terme sans son sens général, sans connotation négative) de manière très précise les éléments scientifiques mis en œuvre.

Au-delà des passages scientifiques qui raviront les puristes, mais que les lecteurs moins motivés pourront survoler sans dommage pour la compréhension générale, c’est aussi un drame humain que nous conte ici Poul Anderson. Un huit-clos où les personnages sont à un pas de sombrer dans l’abîme, retenus seulement par la main de fer de leur direction. J’ai parfois trouvé l’évolution de l’ambiance au sein du vaisseau un peu trop optimiste, au vu des catastrophes qui annihilaient progressivement tout espoir de retour. Mais peut-être aussi que tout ne s’écroule pas parce que, même si pour le lecteur on voit défiler de très nombreuses années, en temps propre ce sont à peine quelques années que vont vivre ici les voyageurs. Dans tous les cas, cela reste captivant. Les personnages sont également très intéressants, même si j’ai parfois regretté qu’on en ait une vue extérieure ne nous permettant pas de rentrer vraiment dans leurs pensées.

Ce roman est donc une très agréable découverte, que je ne saurais que conseiller aux amateurs de science-fiction.