Une récolte complète est perdue au Chêne Courbe, la propriété vinicole de la famille Baudricourt. Le gâchis est immense, et est dû à un acte odieux : quelques litres d'essence ont été déversés dans les cuves, et il a fallu tout jeter. La facture est également très salée, et il est certain que les assurances ne prendront pas tout en charge... Pour Alexandra Baudricourt, qui vient de reprendre le domaine, le coup est très dur.
D'autant que les démissions au sein du personnel vont maintenant bon train : les ouvriers quittent le navire avant qu'il ne coule, et Alexandra ne peut même pas les en blâmer réellement. La jeune femme s'apprête maintenant à passer le réveillon de Noël seule. L'occasion pour elle de replonger dans l'histoire de la propriété, et dans les immenses déboires de Anselme Baudricourt, son ancêtre, qui a du faire face à l'oïdium, au phylloxéra, et surtout à la guerre et la perte d'un fils. La lecture redonne espoir à Alexandra, qui finalement n'a perdu qu'une seule récolte.
Non loin de la propriété, les frères d'Alexandra sont inquiets. Pire que cela, François ne tarde pas à apprendre que c'est Claire, son épouse, qui est à l'origine de l'essence dans les cuves. La tension est alors très vive dans le couple, avec cette fille qui veut absolument toucher sa part de la propriété. François est anéanti, et il veut se racheter en aidant financièrement sa soeur, tout en restant dans l'ombre.
Alexandra, de son côté, fait la connaissance d'un américain, Logan Norton, qui prend des photos aériennes de différentes propriétés du médoc. Les deux jeunes personnes sympathisent, mais Logan finit par oublier la clé USB qui contient ses photos. Alexandra y trouve des photos d'elle prises à la dérobée. Elle pense que cette personne pourrait avoir, derrière un charme emprunt de naïveté, un lien avec les récents malheurs qui ont touché la production viticole...
Corbeyran et Espé nous livrent là le troisième tome de Châteaux Bordeaux, une série à dévorer justement en dégustant forcément un Saint-Estèphe ou un Pomerol, comme le suggère Denis Saverot dans sa préface. Le manga a depuis quelques temps sa série sur le vin avec le très beau et très riche Les gouttes de Dieu. C'est à présent à la BD franco-belge de combler le retard, avec cette histoire qui même le vin et les histoires de famille tortueuses.
Evidemment, en cela, on sent Eric Corbeyran parfaitement à l'aise derrière les ficelles du scénario, après avoir déjà trempé dans une série un peu familiale comme Garrigue, par exemple. L'auteur s'amuse avec des personnages secondaires qui jouent toujours un rôle important, entre les deux frères d'Alexandra, la bouillonnante Claire, ou encore la fidèle cuisinière de la famille.
Au niveau des dessins, Espé s'en donne à coeur joie : on sent le dessinateur autant à l'aise avec les personnages (surtout féminins !) et les décors qui sont très beaux et très travaillés. Certains regards ne sont d'ailleurs pas sans rappeler ceux dessinés par Stefano Raffaele dans une série comme Pandemonium, scénarisée par Christophe Bec. Ce troisième tome constitue ainsi de nouveau une très belle et très intéressante plongée dans le Médoc : on y découvre l'histoire du vin, et on y apprend des choses à propos de merveilleux anciens cépages qui ne sont plus utilisés de nos jours. Et qui donneraient pourtant un vin d'exception.
Une série destinée aux amateurs de vin, nombreux, mais pas seulement : les histoires de familles sont vraiment intéressantes et fouillées, et devraient rallier un public encore plus large, et à raison.