Allongé dans les broussailles, Jazz observe la scène en contrebas où les policiers s'affairent autour de la découverte du jour : le cadavre d'une femme nue, inconnue, abandonnée au milieu d'un champ près de la ville de Lobo's Nod.
Alors que n'importe quel adolescent de dix-sept ans pourrait être choqué par cette vue, Jazz l'étudie avec froideur et précision. C'est qu'il a vu des choses bien plus horribles au cours de sa courte vie. Car Jazz n'est pas un jeune homme ordinaire mais le tristement célèbre fils du plus grand tueur en série de ce siècle : William Cornélius Dent. Ce dernier a laissé libre court à son génie meurtrier pendant une vingtaine dannées, comptabilisant plus d'une centaine de victimes, avant d'être arrêté.
Depuis, il purge une peine de prison à vie et Jazz tente de se construire loin de ce terrible héritage. Depuis sa plus tendre enfance, son père a tout mis en uvre pour lui apprendre les ficelles du métier. L'adolescent est donc particulièrement doué pour analyser une scène de crime et celle qui se déroule sous ses yeux lui laisse un goût amer. Car il est certain que le tueur ne va pas s'arrêter là. Que cette femme n'est que la première victime d'une longue série et il est bien décidé à mettre son talent à l'uvre pour l'arrêter.
Imaginez que vous ayez grandi dans l'ombre d'un génie du mal, le pire tueur en série que la Terre ait porté, un homme craint, haï et recherché : votre père. Celui-ci n'avait d'ailleurs jamais caché ses activités, vous y impliquant largement dans le but affirmé de faire de vous son successeur. Comment espérer vivre une vie normale, sans craindre son héritage ? Est-il possible de se démarquer de son éducation ? Voici le thème de cet excellent roman, premier d'une trilogie consacré à Jazz, un adolescent en lutte avec ses origines.
On pourrait être tenté de faire un rapprochement entre le personnage de Jazz et Dexter, ce tueur en série qui uvre, en quelque sorte, pour le bien. Sauf que l'adolescent n'a jamais tué personne et qu'il compte bien continuer dans cette voie, même si il doit constamment se battre pour se défaire du conditionnement paternel. Heureusement, cet héritage a au moins l'avantage de faire de lui un expert en matière de tueurs en série, puisqu'il sait comment ils pensent, agissent, réfléchissent. Il a été formé par le pire de tous qui lui a légué, en quelque sorte, toutes les ficelles du métier et il est bien décidé à les exploiter pour faire le bien.
Ce roman est double. On y suit l'enquête de Jazz mais on partage également ses réflexions, réalisant qu'il est constamment en lutte contre le conditionnement qu'il a subi. Il semble toujours au point de rupture, où il suffirait d'un rien pour le faire basculer du côté obscur, ce qu'il refuse de toutes ses forces. C'est vraiment un personnage complexe et attachant, bien que glaçant par moments, surtout quand sa « formation » reprend le dessus et qu'il imagine ce qu'il pourrait faire subir aux gens en face de lui. Souvent, il ne peut s'empêcher de se demander s'il agit naturellement ou si la moindre de ses actions n'est que calcul et préméditation dans le but d'amener les autres à faire ce qu'il veut. Rien n'est simple dans la tête de Jazz.
Heureusement, il n'est pas seul. Il y a Howie, son meilleur ami, atteint dune forme sévère d'hémophilie (un comble quand on fréquente le fils d'un tueur) à l'humour absolument décapant et Connie, sa petite amie, prête à tout pour lui prouver qu'il n'est pas mauvais. Ces deux personnages sont l'ancrage de Jazz dans la normalité et apportent une touche de légèreté et d'humour dans une histoire qui aurait pu être terriblement sombre.
Barry Lyga nous offre un thriller psychologique très bien écrit, à l'intrigue rondement menée, manipulant le lecteur sans sourciller. Il s'adresse aussi bien aux grands adolescents qu'à un public plus mature. A dévorer d'urgence.