Les Chroniques de l'Imaginaire

Clèves - Darrieussecq, Marie

"Elle comprend le mot, elle le comprend définitivement, pour la vie. Un avant et un après la compréhension du mot pute. A l'intérieur d'une petite fille, il y a une pute."

Quand commence ce roman, Solange a à peine dix ans et déjà des désirs plein la tête. L'idée du sexe - voire le sexe lui-même - est partout autour d'elle. Elle surprend son père alcoolisé se déshabiller lors d'une kermesse de village ; Monsieur Bihotz, le voisin qui la garde, s'est déjà masturbé devant elle ; il y a les conversations qu'elle surprend entre les adultes, les regards que son père lance aux femmes du village - à toutes les femmes, hormis son épouse ; il y a l'accouplement des chiens, les attouchements entre les élèves de l'école, et puis ses règles qui arrivent...

Solange grandit et son désir avec elle. Au gré des rencontres, l'idée du sexe devient une obsession. Le sexe comme réponse à tous les besoins, à toutes les attentes. Comme moyen de pallier tous les manques, de se sentir vivante, aimée. Le sexe comme monnaie d'échange : son corps contre l'attention, l'amour dont elle manque cruellement. Solange se donne, se rêve amoureuse, désirable, puissante. Elle perçoit bien l'idée de pouvoir qui sous-tend l'acte sexuel, mais elle ne parvient pas à s'approprier ce pouvoir et ne fait que le subir. Bien vite, la situation devient incontrôlable car trop jeune, trop naïve, Solange se laisse emporter dans des relations qui la dépassent.

On ressort de cette lecture écœuré, malgré les qualités littéraires évidentes de l'ouvrage. Clèves nous jette à la figure une réalité éprouvante : l'omniprésence du sexe dans la vie des jeunes, et ce dès la sortie de l'enfance. Avec ses descriptions cliniques de la découverte qu'une petite fille fait de la sexualité, Clèves s'apparente parfois plus à un ouvrage sociologique qu'à un roman.

Le style est simple, voire plat, le vocabulaire concret. Les paragraphes courts précipitent le lecteur vers le dénouement - un dénouement à la mesure de ce à quoi on pouvait s'attendre, n'offrant aucune solution, seulement l'émergence d'un nouveau problème. Ces choix stylistiques collent bien au sordide des personnages et du propos.

La plus grande force de Clèves, ce sont ces personnages. En quelques traits, Marie Darrieussecq campe leur caractère, leurs manques, leurs faiblesses, et si tous ne sont pas sympathiques - loin de là -, aucun ne laisse le lecteur indifférent. Le personnage de Solange, en particulier, ne manque pas de consistance. Malgré - ou à cause de - son caractère outré, beaucoup de lectrices se retrouveront dans cette jeune fille qui manque désespérément d'amour et place en sa vie sexuelle une aspiration démesurée.

Finalement, j'ai été séduite par ce livre surprenant : écœurant plus qu'excitant, très facile à lire malgré la lourdeur du propos, Clèves est partout sauf là où on l'attend et ne se laissera pas facilement oublier.