Julia a construit sa vie d'adulte autour de la dramatique histoire d'amour vécue par deux de ses ancêtres. Son arrière-grand-oncle, Edward Mackley, était explorateur et cherchait à atteindre le Pôle Nord. Au terme d'une expédition de plusieurs années, il a été obligé de rebrousser chemin et a fini par mourir de faim et de froid. Son corps n'est découvert qu'en 1959. Edward est mort en tenant entre ses mains son journal de bord et une photo d'Emily, son épouse, qui a désespérément attendu son retour pendant toutes ces années. Génération après génération, cette histoire est devenue un mythe qu'on ne lasse pas de raconter dans la famille Mackley, et un ciment pour les fondations de l'existence de Julia.
Aujourd'hui, la jeune femme vit dans la maison familiale, celle-là même où Emily a attendu en vain le retour de son bien-aimé. Julia a arrêté de travailler pour se consacrer à l'étude des souvenirs de sa famille : faire publier le journal d'Edward et dresser un inventaire de tous les meubles, bibelots, collections de papillons, etc... accumulés dans la grande demeure.
Mais surtout, et c'est là où le bât blesse, Julia jauge tous les hommes et toutes ses histoires d'amour à l'aune de l'admiration qu'elle porte à Edward et Emily. Autant dire qu'elle est perpétuellement insatisfaite... En couple avec Simon depuis plusieurs années, son mariage commence à battre de l'aile, tant Julia est rêveuse et insaisissable. Cette incroyable histoire d'amour que la famille Mackley prend plaisir à ressasser commence à peser sur les épaules de Julia comme une chape de plomb...
Ce beau roman met en valeur une jeune femme qui plie sous le poids de son histoire familiale. L'amour que partageaient Emily et Edward est devenu, au fil des années, l'exemple à suivre, l'idéal impossible à atteindre. Freinée dans son appétit de vivre, Julia se perd dans la mélancolie et ne parvient pas à s'investir dans son quotidien. Le journal de bord d'Edward a pour elle plus de réalité que sa propre existence et l'amour, pourtant bien réel, qu'elle porte à Simon.
Cet état de fait influe sur la construction du roman. La lecture régulière du journal d'Edward par son arrière-petite-nièce rend la temporalité poreuse. Passé et présent se mêlent dans la narration. Le cheminement n'est pas chronologique, mais sentimental. Cette habile manière de faire permet de plonger dans l'esprit de Julia, de suivre son cheminement intellectuel et de comprendre ses pensées les plus intimes.
Cette intrigue captivante est servie par un style puissant et évocateur. Amy Sackville fait du lecteur un spectateur actif du récit en l'incitant, par des interpellations directes, à observer les protagonistes et leur environnement, à lire dans leurs pensées, à tenter de les comprendre. Ce procédé intrigue le lecteur et l'installe rapidement dans l'ambiance. L'atmosphère de Là est la danse est très particulière et fort bien dépeinte. On oscille entre passé et présent, entre le froid polaire du journal de bord d'Edward et la chaleur de l'été caniculaire que Julia est en train de vivre dans la banlieue de Londres. Les descriptions de la vie quotidienne de Julia, de son errance à travers la grande maison familiale, de ses petits gestes tout simples (aller au marché, préparer à manger) revêtent un caractère poétique qui souligne son mal-être en traduisant un goût pour la vie qui contraste avec sa neurasthénie.
Là est la danse a tant de qualités littéraires, scénaristiques et humaines que je ne peux que vous en conseiller la lecture, pour peu que vous soyez intéressés par les romans faisant la part belle à l'intime et à l'introspection.