Fils de la célèbre historienne spécialiste de la Russie et de l'URSS, Hélène Carrère-d'Encausse, Emmanuel Carrère a baigné très tôt dans l'histoire soviétique. Il a eu l'occasion d'accompagner sa mère dans ses voyages, de s'imprégner de la culture et de la langue russe. Et c'est jeune qu'il rencontra pour la première fois Edouard Limonov, qu'il aura l'occasion de recroiser à divers moments de sa vie. Sans qu'un lien intime ne les rapproche, juste une vague appartenance aux même cercles.
Pourtant Limonov est un personnage qui fascine Emmanuel Carrère, pour sa complexité. Parti de rien, du fin fond de la campagne ukrainienne, il a vécu une quantité incroyables de vies avant d'arriver au sommet de la gloire, et encore, une gloire toute relative. L'écrivain nous raconte ainsi son parcours, depuis ses plus jeunes années. Comment il a compris très tôt qu'"il y a deux espèces de gens : ceux qu'on peut battre et ceux qu'on ne peut pas battre, et ceux qu'on ne peut pas battre, ce n'est pas qu'ils sont forts ou mieux entraînés, mais qu'ils sont prêts à tuer." Limonov n'aura peur de personne, et il deviendra célèbre. Même s'il ne sait pas encore précisément pourquoi.
Il parviendra à quitter l'URSS pour les Etats-Unis, accompagné d'Elena, la femme dont il est fou amoureux. Les histoires d'amour de Limonov ne sont pas nombreuses, mais elles sont invariablement tragiques. Drogues, adultères, alcool, mépris... qui n'émanent pas de lui. Les femmes de sa vie l'ont trompé, humilié, l'ont fait souffrir. A une époque où les femmes ne le regardaient pas il s'est intéressé aux hommes, et il a consigné cette partie de sa vie dans Le poète russe préfère les grands nègres, qui lui a valu une première reconnaissance littéraire.
Le retour en Russie après la chute du mur s'est avéré difficile. Limonov a toujours été un militant engagé, et il ne plait que moyennement aux nouvelles instances du pouvoir : Boris Eltsine, le FSB (anciennement KGB...). Il connaîtra la diffamation et la prison.
En parallèle au destin de Limonov, Emmanuel Carrère dresse un portrait de l'URSS saisissant et passionnant. L'auteur parvient à nous intéresser à cette période, à ses conflits, sans lourdeurs. Il s'adresse directement au lecteur, dans un style recherché sans être pompeux, livrant quelques anecdotes ou son avis à diverses occasions. Cela rend la lecture fluide et captivante.
On comprend aisément en refermant cet ouvrage pourquoi il a obtenu le Prix Renaudot 2011. C'est un document extrêmement abouti et passionnant sur cet homme à multiples casquettes : écrivain, politicien, et même majordome. Édifiant !