Le prototype du fou délirant est celui qui prétend être Napoléon. La question que s'est posée l'auteure de cet essai fort intéressant est : pourquoi précisément Napoléon ? Pourquoi l'Empereur apparaît-il plus fréquemment comme support d'identification délirante que le Christ, Charlemagne ou Mahomet ? Quels sont les liens entre le personnage historique et les fous ? Et surtout, plus largement, quels sont-ils entre l'Histoire et la folie ?
De la Révolution de 1789, qui a envoyé à l'asile des êtres traumatisés par l'ombre de la guillotine et la vision des massacres de la Terreur, aux horreurs du siège de Paris en 1870 et de la Commune qui l'a suivi (et surtout de la répression d'icelle), en passant par les révolutions de 1830 et 1848, Laure Murat étudie l'évolution de la parole des fous, de celle des aliénistes, et des liens de ces derniers avec le pouvoir.
En effet, le XIXe siècle a utilisé couramment les asiles comme prisons pour des opposants dont la liberté de parole, de moeurs et/ou de pensée, offusquait le pouvoir en place (et le cas de Sade est à cet égard emblématique). Dans les asiles se sont aussi retrouvés les nombreux laissés-pour-compte de la révolution industrielle.
Très clair dans sa construction, très agréable à lire quant au style, avec un petit nombre de notes, simplement placées en bas de page, mais bien argumenté et visiblement appuyé sur une documentation impressionnante (la bibliographie en fin de volume en est la preuve, s'il en fallait une), ce document qui se termine sur un cri d'alarme quant à la situation actuelle dans ce domaine est un outil de réflexion important, qui devrait figurer dans la bibliothèque de tous ceux que l'étude de la folie concerne ou intéresse à quelque titre que ce soit. Il a obtenu le Prix Femina Essai en 2011.