Anton est un petit garçon, fluet et trop bon élève pour son propre bien. Aussi dissimuler devient une seconde nature, voire même une première nature. Mais il n'en reste pas moins un enfant imaginatif, qui rêve sur les pirates et leur trésor. C'est dit : il sera pirate ! Dans l'intervalle, avec la complicité de son ami Jak, il devient le voleur du port. Surpris par un vieux mendiant, qu'ils surnomment l'Ivrogne, les deux garçons interrompent une prometteuse, mais dangereuse, carrière, et passent leurs soirées à écouter les histoires du vieil homme. Et d'abord la sienne, qui s'entremêle avec celle du Pirate Sans Nom.
Parce que sa mère lui est enlevée alors qu'il a à peine six ans, celui qui ne se souvient même pas de son nom décide de se venger et de la venger. Il devient Coupe-Jarret, il devient Fureteuse, il devient...
On parle de roman-fleuve, on parle de roman-monde, en l'occurrence on devrait parler ici de roman-océan, même si les autres termes s'appliqueraient sans doute. L'auteur semble avoir brassé toutes les histoires, toutes les légendes, tous les mythes impliquant des vaisseaux légendaires, fantômes ou non, pour les unir en une fresque millénaire. Le résultat est magnifiquement réussi.
Passé l'intrigant prologue, l'histoire, qui se déroule de nos jours, et qui semble un hommage - plaisant à lire d'ailleurs - à Stevenson, Melville ou Conrad, m'a portée à me demander pourquoi cette belle aventure maritime était publiée chez Folio SF. Le fantastique, c'est-à-dire l'intrusion de l'inexplicable dans notre monde rationnel équipé notamment de balises de localisation, arrive peu à peu, par petites touches. Cela explique sans doute - outre la qualité intrinsèque de l'oeuvre, cela va sans dire - les critiques élogieuses lues dans la presse "hors genre" puisque ce roman a, par exemple, été le "coup de coeur du Point" en 2010.
L'aspect "histoire de pirates racontée aux enfants" n'exclut pas la complexité des personnages, qu'il s'agisse du Pirate Sans Nom, d'Anton, de l'Ivrogne ou de Virginia, par exemple. La pluri-vocalité du récit permet de le lire sous différents angles, et ce n'est pas la moindre gageure réussie de cet énorme pavé que de réussir à ne laisser dans l'ombre aucun aspect des aventures des différents personnages. Même si on a parfois l'impression de les quitter en plein milieu d'une aventure, cette impression se révèle toujours fausse : ce qui n'a pas été dit par un personnage le sera plus tard, par quelqu'un d'autre, à quelqu'un d'autre, et c'est proprement fascinant sur le plan de la construction. Il reste quelques fautes, qui ont échappé aux relecteurs et autres correcteurs, et j'avoue qu'un voeu "exhaussé" (SIC !!!) m'a fait grincer des dents, mais il y en a peu, et elles sont bien pardonnables, vu l'ampleur de la tâche.
De toute façon, ce bémol minime ne doit pas détourner de la lecture de ce roman difficilement classable, que je recommande avec ferveur tant aux amateurs d'histoires de mers et de pirates qu'aux lecteurs qui aiment les histoires originales bien écrites et bien ficelées.