Les Chroniques de l'Imaginaire

Le rêve du Celte - Vargas Llosa, Mario

Quand Roger Casement part au Congo, à l'âge de 20 ans, c'est pénétré du credo impérialiste de l'époque (fin XIXe siècle) : il s'agit d'apporter la civilisation à "ces pauvres Noirs qui vivent encore au Moyen Âge". Sur place, il se rend compte de l'exploitation cruelle, par les caoutchoutiers, de la terre et des hommes qui la peuplent, et vingt ans plus tard, devenu consul de Grande-Bretagne, il fait un rapport accablant pour l'administration belge, dont le Congo était à l'époque une colonie. Au cours de cette terrible expérience, il rencontre celui qui deviendra Joseph Conrad, et à qui une expérience comparable inspirera le terrible Au coeur des ténèbres.

Tant et si bien que la Grande Bretagne lui demande d'enquêter sur des rumeurs qui lui sont parvenues sur des mauvais traitements d'indigènes péruviens employés par une société anglo-péruvienne dans le bassin amazonien. C'est ainsi qu'il va jusqu'au Putumayo, et qu'il se rend compte que les rumeurs étaient encore en-dessous de la vérité. Tout cela n'est pas sans conséquence : d'abord, cela lui crée beaucoup d'ennemis, et puissants. D'autre part, cela mine sa santé, physique et mentale. Enfin, cela lui rappelle que sa chère Irlande est, en somme, rien de mieux qu'une colonie de l'Empire britannique. Aussi va-t-il s'engager dans une véritable croisade pour sa libération. Quitte à s'allier avec l'ennemi du moment, ce qui, en pleine guerre de 14-18, le conduira à un procès pour haute trahison.

J'avoue que j'ignorais jusqu'au nom de Roger Casement. A ma décharge, je dirai qu'apparemment il était plutôt ignoré jusqu'à une date récente en Irlande même. En effet, dans ce pays très catholique ses goûts sexuels - que ses ennemis ne s'étaient évidemment pas privés de monter en épingle à cette époque de pénalisation de l'homosexualité - étaient inacceptables, et entachaient forcément l'image de ce grand patriote pacifiste. Il est juste qu'un écrivain péruvien lui rende hommage. Et même si ce texte est un roman, et non une biographie en bonne et due forme, on en apprend suffisamment sur Roger Casement pour donner envie d'aller plus loin.

Le texte est passionnant et se lit comme un roman, écrit dans une langue alerte et élégante. A lire absolument par tous les amateurs de Conrad, et par tous ceux qu'intéresse le colonialisme.