Darius est quelqu'un d'assez particulier. Certes, comme beaucoup, il a sa petite amie bien jolie et une bande de copains bien marrants qu'il connaît depuis longtemps, mais là n'est pas l'essentiel de la vie de Darius. En fait, l'homme est un génie à la tête d'un empire. Il a réussi à faire mettre au point un système qui vous implante des souvenirs dans le cerveau : vous voulez vous souvenir d'avoir joué avec les Stones, ou que vous avez passé une nuit magique avec Marylin Monroe ? Ce n'est plus un souci.
Alors, évidemment, tout le monde se paye les fameuses injections qui vous fabriquent vos souvenirs. Et les bénéfices pour la société (et pas seulement pour Darius) sont bien là : il n'existe quasiment plus de névrosés ou de psychopathes, et les prisons sont vides de nos jours. Il suffit d'injecter le souvenir qui va bien aux détraqués, pour les soigner de leur pathologie. Et Darius balaye d'un revers de la main les contre-arguments de ses inventions.
Mais Darius a tout de même un problème plus profond. Petit, ses parents se sont séparés et, depuis, il vit dans l'angoisse d'aller voir son père au Liban. Par ailleurs, il lui est très difficile de vivre une vie normale, sans se shooter avec les divers rêves issus de ses lignes de production médicamenteuses. Alors, la dépendance guette...
Ainsi, il faut la venue inattendue d'une fille de son passé, une ex du nom de Cerise Lagarte, canon, pour le remettre sur les rails. Cerise vient voir Darius pour lui commander un rêve. Mais un rêve réellement imaginé par Darius, pas par ses sbires. Darius est surpris, et malgré son emploi du temps surchargé maintenant qu'il dirige une entreprise, il accepte de créer ce rêve, un peu par pari, et aussi en souvenir du bon vieux temps. Des souvenirs qui vont tout doucement le ramener à la vie, qui sait ?
C'est Maud Begon au dessin et à la couleur, et Joseph Safieddine au scénario, qui nous livrent ce récit très intimiste dans la collection KSTR de Casterman. Le dessin est épuré et met principalement l'accent sur les expressions : de quoi nous rappeler directement certaines scènes de Dans mes yeux, d'un certain Bastien Vivès, qu'on peut encore trouver dans la même collection. Notamment, les mimiques de Cerise sont très attachantes, et on ne peut s'empêcher de s'attacher à ce petit bout de fille que la vie n'a pas semblé trop gâter.
Et puis, il y a ce grand échalas qui ne voit pas grand chose, trop occupé à démêler les vrais souvenirs des faux. Un garçon qui a réussi dans la vie, certes, mais qui n'en demeure pas moins incapable de profiter de l'instant présent, quelle que soit la situation. Les auteurs parviennent ainsi à véritablement insuffler une âme et une personnalité à chacun de leurs personnages (même secondaires), ce qui les rend crédibles.
Une BD véritablement réussie, à mi-chemin entre la tranche de vie et la science fiction médicale : de quoi passer un très beau moment de lecture, grâce à une collection qui laisse aux auteurs le temps de raconter de vraies bonnes histoires !