Les Chroniques de l'Imaginaire

Chronique d'hiver - Auster, Paul

Paul Auster se défend de vouloir écrire son autobiographie, mais c’est bien de cela qu’il s’agit dans ce livre. Mais venant de cet auteur, on peut s’attendre à un point de vue original et l’on est pas déçu : il s’adresse à lui-même en se tutoyant, ce qui permet bien vite au lecteur de se sentir impliqué par ce "tu" qui s’adresse autant à lui-même qu’à nous lecteurs. Autre originalité, il entreprend de nous raconter l’histoire de son corps. Il visite son existence à travers son corps et en dresse les souvenirs. Il nous parle de ses désirs, de ses douleurs, de ses accidents ou maladies, de ses amours et de sa judéité (circoncision). J’ai trouvé ce point de vue et cette manière de revisiter son existence très originale et inattendue. Il veut dresser un catalogue de données sensorielles.

Au fil d’un texte rédigé sans chapitre, avec des paragraphes plus ou moins longs, il nous parle des lieux où il a habité, des femmes qu’il a aimées, de ses enfants et de ses origines juives. Il parle aussi de sa mère récemment disparue, de façon très touchante. Ce livre raconte les choses concrètes de son existence, il n’aborde pas son rapport à l’écriture ou son aventure spirituelle et intellectuelle, qui feront l’objet d’un deuxième livre. Il nous fait partager son questionnement face à la vie, la vieillesse et la mort sans faux-semblants, dans un regard lucide sur lui-même. Dans ce "tu", on peut voir aussi un miroir qu’il nous tend et nous pousse à nous poser les mêmes questions. Comment envisageons-nous la vieillesse, le déclin du corps et la mort ?

Ce livre permet de mieux connaître l’homme et son oeuvre, c’est un incontournable pour tous les fans de l’écrivain new-yorkais à l’univers si particulier. J’ai été particulièrement touchée par sa réflexion sur son identité juive, celle d’un enfant juif américain né juste après la guerre. Il sent le poids de la Shoah sur ses épaules, surtout lors de ses voyages en Europe et de sa visite des des camps où il a l’impression d’entendre les morts crier dans son dos. Toute sa vie est marquée par l’angoisse.

La mort est un des thèmes récurrents de ce livre, qu’il s’agisse de celle de ses parents, d’un camarade d’école décédé à quatorze ans, mais surtout de la sienne. Il y réfléchit intensément.

Un très beau livre, à l’écriture musicale, les phrases ont un rythme et ce long texte, seulement séparé en paragraphes, se lit d’une traite. Je connaissais déjà les romans de Paul Auster, en particulier sa célèbre Trilogie new-yorkaise, mais c’est avec un immense plaisir que j’ai dévoré cette autobiographie particulière du plus français des écrivains américains.