Paul Léautaud a tenu un journal quasiment toute sa vie. En fait, il détestait les romans - au point d'avoir du mal à relire Le rouge et le noir, alors qu'il aimait beaucoup Stendhal, par exemple - et en règle générale les seules choses qu'il avait envie d'écrire portaient sur la vie quotidienne, dans la langue la plus claire, spontanée, "parlée" possible. Il a certes publié des livres de souvenirs, et regroupant les chroniques, notamment théâtrales, qu'il a rédigées pour plusieurs revues sous le nom de Maurice Boissard, mais son oeuvre la plus conséquente est son Journal.
La lecture en est passionnante, parce qu'on y croise toute la vie artistique de la première moitié du XXe siècle, même si c'est au travers de la vision de son auteur, totalement sourd à la musique et réfractaire aux arts plastiques de son temps. Il s'y révèle comme un personnage attachant, touchant, même si sa misogynie est plus qu'agaçante, pour ne rien dire de certaines de ses opinions politiques. Mais certaines de ses remarques n'ont rien perdu de leur acuité, ni de leur actualité, témoin M. Abel Bonnard [...] ministre de l'Education Nationale, vient, en cette qualité, d'inviter les examinateurs à être indulgents pour les étudiants dans leurs examens. Excellente mesure. il n'y a pas assez de cancres à diplômes. Il y en aura davantage. Alors qu'on devrait travailler à détruire le fétichisme des diplômes, qui n'ont jamais rendu intelligent sot, et rendre à cet effet les examens plus difficiles. (pg 1001).
S'il semble appartenir davantage au XVIIIe siècle (voire au XVIIe) sur le plan de la langue et des idées sociales, il est pourtant étonnamment moderne quant à son désintérêt pour la religion, ou son individualisme. En tout cas, tout amateur de littérature ne peut qu'être curieux de cette voix singulière.