En ce début du dix-neuvième siècle, sous l'Empire de Napoléon 1er, les habitants de Basse-Bretagne sont restés attachés aux traditions. C'est une contrée à part qui n'est plus la France. Cet isolement, né de son dialecte celtique, place la paysannerie, souvent analphabète, comme une race différente de ses compatriotes de la Haute-Bretagne articulant le français. Le paysage de la région n'est que cailloux et le sol pauvre oblige les agriculteurs, sur cette lande ingrate, à ébrécher leur soc pour lui faire suer quelques liards.
C'est dans le hameau de Kerhordevin en Plouhinec (Morbihan) qu'en 1803 voit le jour Hélène Jégado, dite Fleur de tonnerre. Elle est élevée depuis son plus jeune âge au lait enchanté des légendes, des veillées terrifiantes et à l'énergie des menhirs contre lesquels elle s'adosse pour ressentir l'âme des pierres levées. Fleur de tonnerre est une charmante petite fille, mais la religion druidique, mère des fables et du mensonge, lui apporte un fantôme qui ne la quittera plus jamais.
En 1810, âgée de sept ans, elle empoisonne la soupe de sa mère avec des baies de belladone. Alors que sa maman agonise, le zèle d'Hélène qui prend tellement soin d'elle pousse l'admiration des gens accourus au chevet de la malade. Pourtant, Fleur de tonnerre a un regard pour sa génitrice qui a quelque chose d'infernal. Elle est devant quelqu'un qui va mourir et c'est comme la naissance d'une vocation.
Jean Jégado vend ses terres et confie Hélène à sa marraine pour travailler avec elle au presbytère de Bubry chez l'abbé Riallan. Dans la voiture légère du riche propriétaire qui la conduit au presbytère, Hélène se confronte pour la seconde fois au meurtre. Le conducteur, l'écume aux lèvres et des miettes d'un gâteau dans la barbe, meurt dans la rue.
Hélène reste chez l'abbé pendant neuf ans, apprenant la cuisine avec sa marraine. Le jour de ses seize ans, elle découvre l'usage de la mort-aux-rats. Après le décès de sa marraine, le jeune âge d'Hélène oblige l'abbé à s'en séparer. Ce dernier ne peut résider seul avec une femme de moins de quarante ans.
L'arsenic deviendra pour Hélène un compagnon de voyage avec les souvenirs de ses victimes accrochés les uns aux autres dans une guirlande qui se rallonge au fil des ans. Cuisinière dans les presbytères ou les maisons bourgeoises, Hélène compose les spécialités qui feront un jour sa renommée. Soupe aux herbes à en tomber le front dans l'assiette, gâteau émerveillant à s'en attraper la gorge à deux mains. Durant dix-huit ans, Hélène sillonne la Basse-Bretagne dans un parcours macabre pour achever son périple à Rennes où deux médecins, accourus au chevet de trois de ses victimes, alertent les autorités. Hélène Jégado est arrêtée en juillet 1851 au domicile de son employeur avec une guirlande où pendent soixante petits souvenirs.
Dans Fleur de tonnerre, Jean Teulé joue avec les mots tel un troubadour pour conter le parcours sanglant d'une pauvre domestique. Avec poésie et tendresse, l'auteur raconte le destin tragique de cette femme que ses croyances ont enfermée dans la folie. Un roman historique que deux personnages sillonnent comme un fil rouge pour y apporter une petite touche d'humour bien plaisante face à la logique implacable de cette prédatrice d'un autre temps.
Hélène Jégado n'a jamais été jugée pour la totalité de ses crimes. La plupart ayant été commis plus de dix ans avant son procès, la prescription légale en vigueur à l'époque empêchait le juge de remonter si loin dans son passé. Sa carrière criminelle si longue s'explique par les épidémies de choléra qui touchaient la région et dont les symptômes étaient proches de ceux de l'empoisonnement à l'arsenic. Les croyances du peuple n'incitaient pas non plus les familles des victimes à autoriser les autopsies.
Le Musée de Bretagne de Rennes conserve encore aujourd'hui le masque mortuaire d'Hélène Jégado. En Bretagne, plusieurs pâtisseries proposent à leurs clients les gâteaux d'Hélène Jégado, recette identique... arsenic en moins.