Les Chroniques de l'Imaginaire

Carton blême - Oppel, Jean-Hughes & Beuzelin, Boris

Dans un futur plus ou moins proche, les autorités ont trouvé une solution pour résoudre certains problèmes liés à la criminalité : vu qu'on ne peut mettre toujours plus de moyens policiers pour surveiller et protéger tout le monde on a diminué le nombre de personnes à protéger ; les personnes en mauvaise santé ne peuvent plus demander l'aide de la police. Pour ça une nouvelle carte est apparue. Ceux qui peuvent la montrer bleue sont écoutés tandis que ceux qui ont la version blême sont tout simplement ignorés voire insultés s'ils ont fait perdre leur temps à des membres de la police. Et peu importe que le crime se produise juste devant leurs yeux.

Heclans vient d'être promu divisionnaire et responsable de la B.C.U.I. (Brigade Criminelle Urbaine d'Intervention). Un vrai boulot de merde compte-tenu de la situation. Ce matin il se rend sur une scène de crime. On penche pour une nouvelle victime du "dingue au marteau". Seul problème, on ne retrouve pas le sac à main de la victime et donc pas son carton. Mais Heclans ne veut pas fermer les yeux devant une telle atrocité. Du coup, en attendant, il compte bien faire comme si cette victime avait un carton bleu. L'officier Kovacs n'a rien à redire là-dessus, pas plus que le légiste Nolland. Mais par ce simple geste Heclans vient d'ouvrir une porte qui va l'emmener bien plus loin qu'il n'aurait pu l'imaginer.

Carton blême est l'adaptation d'un roman de Pierre Siniac paru en 1985. Déjà, à l'époque, sa vision du futur était sombre et cynique. Nous n'en sommes pas encore arrivés à de telles extrémités, du moins pas ouvertement, mais il ne suffirait que d'un tout petit pas pour que l'horreur qui se perpétue chaque jour prenne un visage officiel. D'ailleurs, certains hommes politiques commencent à arrêter de se cacher derrière la peur d'être jugés pour leurs propos odieux. Preuve que nous ne sommes plus si loin où ceux qui ne sont pas dans les bonnes cases seront officiellement mis sur le côté et pas simplement par un état de fait.

Cette adaptation, de Jean-Hughes Oppel au scénario et Boris Beuzelin au dessin, fait rentrer le lecteur dans ce monde froid et insensible dans lequel un homme, qui fait pourtant partie du système, tente d'insuffler le peu d'humanité qui lui reste dans des rouages qui ne peuvent l'accepter. La narration est très détachée du monde. Nous prenons donc beaucoup de distance avec le récit, ce qui n'est pas une bonne chose en soi, mais ce qui permet par contre de ne pas prendre de plein fouet le côté sordide du monde dépeint, ce qui, là, est bénéfique. De son côté Boris Beuzelin nous propose un dessin déshumanisé qui colle très bien à cette ambiance merdique que l'on veut raconter.

C'est une œuvre pessimiste et déprimante que ce Carton blême. Mais c'est aussi une mise en garde sur les dérives d'un système qui ne regarderait que les chiffres pour prendre des décisions et qui occulterait complètement l'humanité nécessaire. Merde… nous y sommes déjà alors.