Lorsqu'il est en panne d'inspiration, Jaime est un auteur de bande dessinée espagnol qui se renferme assez vite sur lui-même. Sans véritablement être un ours, il reconnaît lui-même qu'il n'est pas franchement facile à vivre. Sa compagne, évidemment, sait comment s'y prendre avec lui, allant jusqu'à se moquer d'une certaine ressemblance avec le père de Jaime. Justement, le jeune couple se rend chez les parents de Jaime, et redoute déjà l'humeur de l'ancien militaire.
En arrivant, l'ambiance est déjà tendue sur la façon de cuisiner la paella. Le père de Jaime est un homme qui en a vu, et qui ne change pas d'avis comme cela. Bientôt, les frères arrivent pour le repas de famille et passent un bon moment. Inévitablement, la conversation finit par arriver une nouvelle fois sur les souvenirs du père de Jaime, qui a été marqué par son service militaire. L'homme évoque les privations et cette situation étrange avec le Maroc, dont une partie appartenait encore à l'Espagne, provoquant de vives tensions dans cette région.
Alors, Jaime a une idée qui le ragaillardit soudainement. Finie l'angoisse de la page blanche : l'auteur va pondre un récit de ses racines. Il va passer du temps au téléphone avec son père, et également avec sa mère qui a beaucoup à dire sur l'armée. Jaime ne sait pas encore si cette histoire qui plonge dans le cur de ses parents va pouvoir rencontrer le succès, mais qu'à cela ne tienne. Encouragé par sa compagne, il va entrer dans le cur des événements, vus de la fenêtre d'un militaire qui aura tout fait pour améliorer le quotidien, pour lui-même, et pour les amis qu'il aura pu se faire durant le service.
Et il est clair qu'elle est vraiment très bonne, cette nouvelle histoire de Jaime Martin, qui paraît encore une fois dans la collection Aire Libre de Dupuis. D'abord, le livre marque par son épaisseur, puisque plus de 150 pages attendent le lecteur ici. Ensuite, on retrouve avec un grand plaisir le dessin épuré de Jaime Martin, qui met l'accent sur les expressions de ses personnages. Et on parle là de lui-même et de ses proches, évidemment, et ce à plusieurs époques différentes.
Le personnage du père de Jaime à l'armée est complètement attachant : on l'accompagne dans ses galères, dans les misères du quotidien, principalement dues à la faim, au manque de femmes et à la présence de gradés totalement imprévisibles et incompétents. De quoi illustrer tout un tas d'histoires qu'on a pu entendre dans nos propres familles, et de quoi bien mieux comprendre le côté râleur de ces soldats qui n'ont pas eu la même vie que nous, et qui doivent se cacher derrière une carapace qu'un rien peut faire fondre.
Attachant et brillant : voici les qualificatifs qui conviennent le mieux à mon sens à cette nouvelle histoire de l'auteur de Ce que le vent apporte. Les albums de Jaime Martin ont toujours été bons, mais on sent la maturité au fil du temps, surtout avec des albums aussi intimistes qui ne sont pas sans rappeler, dans la démarche, le très beau et également très épais Portugal, dans la même collection, de Cyril Pedrosa, qui était également un album très enraciné.