Nous sommes en 1894, à Samoa. On y retrouve un Robert Louis Stevenson, en proie à ses démons intérieurs. Depuis tout gamin, le célèbre romancier a en tête le bruit de tac tac terrible de son horloge, qui lui évoque aujourd'hui l'arrivée d'un pirate unijambiste qui vient l'accompagner dans ses derniers instants. Mais l'heure n'est pas au trépas, puisque Fanny, sa compagne, vient l'aider et le soigner. Mais cela n'est que partie remise...
L'occasion est donnée ici de plonger dans le passé, afin de suivre la carrière de l'auteur de L'île au trésor, ou de Docteur Jekyll et Mister Hyde. On ne le sait peut-être pas, mais depuis tout petit, Stevenson a une santé fragile, notamment au niveau des poumons. Le moindre coup de froid est propice à de terribles souffrances qui peuvent clouer l'auteur au lit durant plusieurs semaines. Pour autant, cela n'a jamais empêché son entourage de lui mettre la pression, dès le plus jeune âge, sur les études à mener pour devenir ingénieur et construire des phares, comme cela se fait dans la famille depuis deux générations.
Mais cela est bien loin de faire rêver Robert-Louis, qui a plutôt un goût certain pour l'Aventure, notamment depuis qu'il a entrepris le long voyage pour l'Amérique et sa côte Ouest, afin d'y retrouver Fanny, une femme plus vieille que lui et déjà maman, à qui Stevenson demande de divorcer pour l'épouser, lui. Malgré des soucis de santé et une constitution faible, Stevenson est capable de tenir un rythme de travail certain, publiant des nouvelles ici, aidant un ami sur une pièce de théâtre là, le tout en travaillant sur ses romans et sa poésie.
C'est au grand bonheur des enfants de Fanny que l'auteur se met à travailler sur une histoire de pirates qui fera rêver les gens (et c'est encore le cas aujourd'hui, pour un roman paru en 1883). C'est avec des souvenirs d'enfance qu'il a l'idée de ce personnage à double personnalité que l'on retrouve dans Docteur Jekyll et Mister Hyde...
Rodolphe et Denis Follet sont tous deux des amateurs de l'oeuvre de Stevenson, et cela se ressent terriblement ici. Le récit se passe à plusieurs moments différents, avec d'inévitables flashback, traités avec brio et permettant une lisibilité sans faille. On y trouve un Stevenson plus vrai que nature, tout à fait crédible, à la fois dans les événements importants de sa vie, mais également dans les démons intérieurs qui faisaient déborder son imagination...
Et pour cela, rien de tel que le dessin en couleurs directes de Follet. C'est magnifique, notamment au niveau des couleurs, le plus souvent éclatantes, lorsqu'on est en présence de pirates ou de paysages maritimes : on pourrait presque voir les bateaux bouger, dans ces moments là. Les décors de jungle sont également très réussis, avec une luxuriance qui ressort des cases concernées. Rien n'est laissé au hasard à ce niveau : avec un tel dessin et de telles couleurs, le récit ne peut que rouler.
L'ouvrage est enrichi des dates clés et des voyages entrepris par l'auteur, ce qui constitue là-encore une aide précieuse qui rendra en outre les relectures du livre particulièrement intéressantes. Stevenson est mort à quarante-quatre ans, ce qui est jeune, mais cela aura été suffisant pour laisser une empreinte durable, forcément entretenue avec la parution de livres de cette qualité.
Encore une belle pépite dans la collection Aire Libre de chez Dupuis, même si elle n'est pas à comparer avec une série comme Le diable des sept mers (Yves H. et Hermann) dans la même collection, étant donné qu'on est là sur la vie de l'auteur, et non sur une histoire de pirate à la Long John Silver !