Les Chroniques de l'Imaginaire

La furie de Saint-Lazare (Chimère(s) 1887 - 3) - Pelinq, Christophe & Melanÿn & Vincent

En l’absence d’un autre suspect, Chimère a été accusée du meurtre de sa collègue Salomé. Elle est aussitôt internée à la prison de Saint-Lazare, un établissement pour femmes à la sinistre réputation. Sa patronne, Madame Gisèle, sait bien que l’adolescente est innocente, mais elle préfère ne pas intervenir pour ne pas attirer encore plus d’attention sur La Perle Pourpre. En effet, le bordel de luxe est au centre des potins et les clients se font rares, ce qui fait enrager la mère maquerelle.
De son côté, le photographe qui a surpris Chimère avec l’entrepreneur Ferdinand de Lesseps pour le compromettre est bien embêté. L’assassinat sanglant de la prostituée lui a prouvé que son commanditaire Burke, un riche banquier américain décidé à empêcher la construction du canal de Panama, ne reculerait devant rien. Or dans la confusion qui a suivi son départ de La Perle Pourpre, Blandin a perdu la plaque qui supporte la précieuse photographie…

Dans ce nouveau tome, on retrouve Chimère dans une situation encore plus délicate que précédemment. Après les violences et les humiliations quotidiennes qu’elle vit dans la « maison de plaisirs », elle découvre l’univers sinistre de la prison où elle va partager la cellule d’une folle. Pourtant, il semble que rien ne puisse abattre la jeune fille tant elle est tenace : elle se bat de toutes ses forces pour s’en sortir, quoi qu’il en coûte. On est bien loin de l’image de jeune demoiselle innocente et douce qu’elle donne aux clients ! La voilà retorse et manipulatrice, elle a de qui tenir… Voilà une jeune héroïne vraiment intéressante ! La tension monte peu à peu, avec un coup de théâtre final plutôt réussi.

À côté des péripéties mouvementées que vit Chimère, les autres éléments de l’intrigue font parfois pâle figure. Le complot contre Lesseps s’enlise, même si les personnages qui y sont impliqués ont leurs propres problèmes. En fait, on a une grande alternance des points de vue, suivant alternativement Chimère ou Oscar, Blandin ou Burke, et cela permet de vraiment faire le tour des liens entre les différents personnages.
Autre histoire que l’on suit en parallèle : les amourettes de Vincent, jeune peintre passionné et de sa muse la belle danseuse Olympe. Vincent… ça ne vous rappelle pas quelqu'un ? Le nom de famille du peintre n’est jamais cité, mais il ne faudra pas chercher longtemps pour voir confirmer ses soupçons. Mais ce n’est pas l’important. Si au début on pouvait se demander quel était le rapport avec l’histoire principale, la réponse est apportée dans ce tome, éclairant d’une lumière nouvelle la personnalité de Madame Gisèle.

Tous ces personnages, tous ces éléments d’intrigue, se rejoignent pour former une histoire riche et fouillée. Christophe Pelinq (le vrai nom de Christophe Arleston, le scénariste notamment de la série Lanfeust de Troy et dérivés) et Melanÿn nous ont vraiment concocté un scénario prenant. Ce n’est certes pas une avalanche de rebondissements abracadabrants, mais c’est largement suffisant pour éveiller et maintenir l’intérêt du lecteur qui est de plus en plus accroché devant sa BD.

En toile de fond de l’histoire, on plonge dans le Paris de la Belle Époque, la fin du dix-neuvième siècle. Alors que la Tour Eiffel monte petit à petit, on y vit le tourbillon du luxe et des divertissements, les progrès techniques et le modernisme, mais aussi les excès, la corruption, la misère qui subsiste dans les bas-fonds… C’est toute une ambiance, parfaitement exprimée par le trait de Vincent. Les décors sont rigoureusement rendus, les costumes magnifiques.
Pourtant, j’avoue que je préférais les dessins des tomes précédents. Il me semble que les personnages ont des traits plus durs, des expressions plus caricaturales, et graphiquement je trouve cela moins beau. Cela est d’autant plus amplifié que les dessins sont plus souvent centrés sur les personnages, donnant moins de place pour les décors.

Cette série tient toutes ses promesses, et il me tarde déjà de découvrir la suite.