Les Chroniques de l'Imaginaire

Coeurs de rouille - Niogret, Justine

Saxe a toujours été une sorte de laissé-pour-compte : apprenti dans un atelier de réparation d'agolems, ces créations mécaniques que nul ne sait plus faire à son époque et qui remplacent les golems d'antan, trop puissants et dangereux, il n'a jamais eu de véritable chance d'améliorer sa vie, de réussir. Il a fui et s'est réfugié dans les tréfonds de la ville, ces étages désertés sur lesquels les hommes ont construit de nouveaux niveaux en abandonnant tout derrière eux, machines brisées, équipements inutilisables comme golems éteints.

Là, dans ces lieux désaffectés et sordides, Saxe va rencontrer Dresde, l'ancienne golem, dont le maître a disparu, une éternité plus tôt, et qui attend toujours son retour. Dresde a presque oublié le langage et sa vie. Dresde a presque épuisé ses réserves d'énergies et aimerait se faire des souvenirs avant de s'éteindre.

Leur rencontre a tout d'improbable, mais entre le réparateur d'agolems et la golem va se tisser un lien étrange, fait d'incompréhensions, de mains tendues, d'entraide spontanée. Leurs seuls points communs, c'est cette envie de quitter la ville de fer, qui vole dans les cieux, et de trouver cette porte mythique qui leur permettra de découvrir, enfin, le monde extérieur. Ensemble, ils vont descendre, un à un, les étages de la ville en quête de cette issue.

Mais une vague de crimes sévit : un être, un golem, traque impitoyablement les agolems pour voler leur perle, cette boule d'énergie cachée dans leur bouche et qui leur donne leur force vitale. Cette créature, c'est Pue-la-Viande, un golem vêtu de la peau putréfiée d'un chien qu'il a tué.

Et Pue-la-Viande s'est lancé sur la piste de Saxe et Dresde, attiré par leur énergie, leur désespoir, leur vie.

Ce roman est dérangeant, tant par l'étrangeté de l'univers qu'il décrit et son réalisme. Entre steampunk et anticipation, entre Sky Doll et Blade Runner, Justine Niogret parvient à nous rendre vivants ces héros dont deux d'entre eux n'ont rien d'humain... et pourtant.

Cette descente dans les tréfonds de la cité s'apparente à une descente aux enfers, ponctuée cependant d'anecdotes magiques, comme la rencontre avec la baleine (je n'en dirai pas plus !) qui m'a beaucoup touchée. Même Pue-la-Viande, finalement, sait nous émouvoir, dans sa logique faussée et son acharnement. Mais, finalement, moi, je suis tombée amoureuse de Dresde, qui se détruit petit à petit pour accomplir son rêve d'automate.

Un très bel ouvrage, doté d'une couverture particulièrement évocatrice et poétique !