Les Chroniques de l'Imaginaire

Liquidations à la grecque (Une enquête de Kostas Charitos) - Markaris, Petros

Si l’on commençait par la fin...
Remercions Michel Volkovitch d’avoir traduit Liquidations à la grecque. Remercions-le parce que sans lui les hellénophiles francophones n’auraient pas pu avoir accès à l’excellentissime roman de Petros Markaris. Remercions-le d’avoir réalisé une traduction toute en finesse, dignes de ces meilleures translations poétiques. Les hellénophones francophiles percevront à travers quelques mini manquements à la syntaxe française la saveur préservée de la langue grecque. La forme rejoint le fond pour faire de ce roman une juste image de la Grèce d'aujourd'hui, pressée par la crise et les dettes qu’elle peine à rembourser.

Un personnage avec un grand P
Réfléchir, Kostas Charitos sait faire. Commissaire à la Criminelle d’Athènes, il n’en est pas à sa première affaire. En revanche, patienter à la porte de sa fille le jour de son mariage, c’est une autre paire de manches. Attendre, toujours attendre sur les femmes: “Ce qu’on peut avoir à bricoler sur une robe qui a coûté une fortune, va savoir.” (p.11)
Plus raisonnable quand il s’agit de son travail, Kostas Charitos reste intuitif, car ce qu’il considère comme son inculture fait aussi sa force. Mais nul n’est à l’abri d’un accès de naïveté. Certes, ce n’est pas parce que l’on est noir que l’on est un meurtrier. Mais Charitos ne peut s’empêcher de penser que si un assassin tue ses victimes à l’épée il ne peut être grec. Un peu raciste, très paternaliste, et respectueux de sa femme (il vaut mieux, sinon elle va lui rendre la vie impossible), le commissaire est un personnage d’une grécité prodigieuse.

L’histoire ?
Un banquier est décapité dans son jardin. Des affiches sont placardées dans toute la ville. Le chef de la police privilégie la piste terroriste.
Mais Charitos ne croit pas à la théorie d’un complot visant à déstabiliser l’Etat. Pourquoi d’ailleurs ? L’Etat est déjà déstabilisé. Entre la baisse des salaires et des rentes, le recul de l’âge de la retraite, les manifestations quotidiennes, nul besoin d’un perturbateur extérieur.
“Quand une banque t’accorde un prêt c’est une église dont le directeur est l’évêque. Dès qu’on te demande de rembourser, la banque se change en requin et le directeur en dents de la mer” (p.193). De nombreuses personnes peuvent en vouloir aux banques. Mais qui serait assez haineux pour disloquer des banquiers ? D’autant que cette propagande poussant à ne pas rembourser ses emprunts ne peut pas être une coïncidence...

Regards grecs sur la Grèce en crise
La force de ce roman, ce n’est pas vraiment l’intrigue. Quoique bien construite, elle est surtout là pour porter des personnages. Petros Markaris, scénariste de l’éminent réalisateur Theo Angelopoulos, sait mettre ses acteurs en avant. A coup de sentences assassines, il pose des protagonistes à la personnalité bien trempée. Katerina, la fille qui veut s’en sortir seule, mais qui n’a pas les moyens de payer son loyer et sa subsistance. Son mari médecin qui ne peut leur payer une lune de miel parce que son salaire a été drastiquement tronqué. Et Adriani Charitos, la belle-mère. Une belle-mère plutôt sympathique si l’on se réfère aux standards grecs mais qui va rendre tout le monde chèvre si elle continue à remplir les frigos en douce.
On danse, on rit, on boit dans ce livre, comme savent le faire les Grecs. Mais on proteste aussi, contre les mesures de redressement économique.

“Ils ont réduit de quinze pour cent ma pension. Je touchais quatre cent cinquante euros qui sont devenus trois cent quatre-vingt-trois euros. Quand je pense que je suis l’un de ceux que les Allemands insultent parce qu’ils ont pris leur retraite à quarante-cinq ans à taux plein? Ma retraite je l’ai eue à cinquante-quatre ans. Jusqu’alors j’ai vécu dans la clandestinité ou déporté à Makronissos ou Aï-Stratis, je me suis fait tabasser dans les geôles de la Sureté. [...] C’est pas pour le fric [...] Je peux vivre avec deux cents euros par mois. C’est pour le coup de pied au cul. C’est comme s’ils te disaient, écoute, ce que tu as fait ça ne vaut pas cher, avec trois cent quatre-vingt-trois euros nous sommes quitte, largement” (p.143).

Une amertume qui n’empêche pas la lucidité: “On était en période de vaches grasses, même si les vaches étaient empruntées au voisin” (p.60).
Petros Markaris apporte un éclairage nuancé sur les comportements passés et présents des Grecs. Il parle vrai, et cette parole plaît même à ceux qui sont le plus conspués dans cet ouvrage : l’Europe, la Troïka et les Allemands. “Le FMI ne va pas gagner le Mondial! Ils nous ont tout pris. Et ils voudraient le Mondial en plus!” (p.245).