Les Chroniques de l'Imaginaire

Rosée de feu : M-69 A-2 - Mauméjean, Xavier

En 1944, la Seconde Guerre Mondiale dure depuis déjà plusieurs années. Pour l’Empire Japonais, la situation est critique. Deux fois dans son Histoire, le Japon a été sauvé d’invasions par le Kamikaze, le « Vent Divin », mais cette fois aucun typhon n’a détruit la flotte ennemie. Les forces japonaises ne font pas le poids face à la puissance américaine, notamment les superforteresses B-29 qui bombardent les grandes villes.
Pour le haut commandement militaire, la défaite est inenvisageable ; il faut vaincre ou mourir. L’état-major imagine donc une stratégie de « percussion volontaire » : Les pilotes de dragons vont se sacrifier pour détruire les bâtiments adverses lors d’attaques-suicides. Honneur et loyauté à l’Empereur sont profondément implantés dans le cœur des Japonais, c’est pourquoi les pilotes se portent sans hésiter volontaires pour ces missions sans retour…

Cette guerre, c’est à travers le vécu de trois Japonais que nous la verrons se dérouler. Le capitaine Obayashi, ancien rebelle, fait partie de ceux qui font adopter la stratégie de commandos-suicides, qu’il juge être la seul voie honorable. Tatsuo, un étudiant que rien ne prédisposait à la guerre, est enrôlé comme pilote de dragon et va se retrouver malgré lui au cœur de la guerre. Dans son village natal, et en dépit des difficultés de la vie en temps de guerre, son petit frère Hideo idéalise les guerriers qui donnent leur vie pour le pays et rejoue inlassablement le déroulement des batailles dans la cour de l’école. Ces trois personnes vivront la guerre de manière différente et complémentaire.

Le lecteur aura surtout de ces personnages une vision extérieure, dénuée de sentiments. Xavier Mauméjean explique dans la postface que ce ton très sobre, pudique, est voulu : il a volontairement écrit son roman en essayant de suivre des règles de construction issues de la culture japonaise, et en essayant de ne jamais tomber dans le pathos. Le résultat est conforme à cette exigence stylistique, un récit conté globalement de manière neutre même si l’émotion arrive à percer dans certains passages (je pense notamment au dénouement, après l’explosion de la méga-bombe, particulièrement poignant). C’est assez plat, mais probablement est-ce le meilleur choix, car sinon la dureté des événements exposés pourrait rendre la lecture difficile.

En effet, il s’agit quand même d’une chronique de guerre détaillée, qui s’approche souvent du documentaire méticuleux. L’auteur ne nous épargne pas les atrocités de la guerre (ravages sur les scènes de combats, viols et autres ignominies sur les civils lors de l’invasion de la Chine quelques années auparavant, expérimentations de l’unité 731, Police de la Pensée…).
Le niveau de détail sur le déroulement des événements est également élevé. Au point que j’étais régulièrement noyée devant les dates de batailles, les noms de militaires ou d’hommes politiques avec de brefs historiques de leur action, les descriptions d’attaques ou d’anecdotes véridiques mais souvent parachutées dans le récit. J’ai appris plein de choses, mais c’était parfois un peu trop. Et ce qui était vraiment trop pour moi, ce sont les caractéristiques techniques des appareils (altitude de vol, poids des bombes embarquées, etc.), qui m’ont souvent rendu la lecture fastidieuse car je ne leur porte guère d’intérêt.

D’ailleurs, même les explications sur les dragons sont souvent trop détaillées à mon goût. Ces dragons apparaissent dans le récit via un artifice uchronique : créatures très anciennes, les dragons ont survécu au cataclysme qui a fait disparaître les dinosaures ; implantés en Asie, ils ont été domestiqués et y remplacent l’aviation pratiquée dans le reste du monde. Ces dragons, donc, l’auteur les a imaginés minutieusement et ne nous soulage d’aucune précision : comment ils volent, comment ils crachent du feu, mais aussi leur vitesse et accélération ainsi que bien d’autres détails plutôt fatigants, à la longue.
Au final, ces dragons manquent cependant de personnalité, de présence. Si j’aimais l’idée de mêler mythe et réalité en donnant vie à ces créatures chimériques, j’ai finalement trouvé que les dragons apportaient bien peu au récit. Sauf à essayer de toucher un public amateur d’imaginaire et qui aurait pu bouder un pur ouvrage historique sur la Guerre du Pacifique…

Si les dragons m’ont déçue, j’ai par contre été convaincue par l’immersion dans la mentalité japonaise de l’époque. L’usage constant du présent déroute parfois (il est utilisé dans le récit pour la ligne de temps principale, mais aussi en certaines occasions pour le présent et le futur, ce qui peut donner un effet curieux), mais cela permet de nous rapprocher des événements relatés. En voyant la situation à partir du point de vue des Japonais, désespérés, on comprend comment les pilotes, avec derrière eux le peuple dans son ensemble, ont pu être convaincu de se sacrifier dans une guerre qu’ils ne pouvaient pas gagner. La réticence à mourir s’effaçait face au devoir et à l’honneur d’accomplir ce que l’Empereur attendait d’eux, sans remise en question.

À réserver aux amateurs de récits de guerre et aux nippophiles plutôt qu’aux passionnés de dragons et d’imaginaire.