On ne le voit pas, on ne lentend pas, mais il est là, caché : Le virus. Mortel ou bénin, il ne prévient pas et il est délicat tant de léviter que de sen débarrasser en cas de contamination.
Les éditions Griffe dEncre nous proposent ici une anthologie dédiée à cette petite chose généralement peu appréciée. Virus biologiques ou informatiques, aux effets négatifs ou positifs, cest un large panel de cas qui est couvert ici, nous montrant les effets évidents des virus, sur les personnes infectées (la maladie) ou celles encore préservées (susceptibles de réagir violemment), mais aussi les effets auxquels on pense moins (par exemple la paranoïa ou lexcès dans la prévention).
H5N1, de Frédérique Lorient
On commence cette anthologie avec un virus que tout le monde reconnaîtra, celui de la grippe aviaire. Lauteure imagine un futur dans lequel ce virus se serait dangereusement répandu, au point dengendrer des mesures de protection draconiennes pour le contrer. Les masques respiratoires sont de rigueur, les oiseaux ont été exterminés.
Cest un texte très fort, dans un style poétique qui contraste avec sa chute brutale. On voit venir celle-ci au fil du texte, mais elle nen fait pas moins froid dans le dos.
Rouge cerise à pois blancs, de Véronique Pingault
Un virus du rhume aux effets psychédéliques, qui pousse les gens à se désinhiber et à faire preuve de fantaisie.
Et oui, les virus peuvent avoir du bon ! En tout cas, celui-ci semble plutôt plaisant. Un texte léger et drôle qui nous permet de repartir du bon pied après le précédent.
Utopie en sursis, dIsabelle Guso
Dans cet avenir utopique, tout est bien réglé. Les déviances ont été quasiment éliminées, tout le monde reste dans le rang. Cest donc avec surprise quAudrey, une enquêtrice, se voit confrontée subitement à une série dévénements inimaginables : suicides, disparitions inexpliquées
Quest-ce qui ne tourne pas rond ? Le gouvernement essaie de contrer lépidémie de « folie », par la manière forte et hélas sans grand succès. Le comportement déroutant et rebelle de la fille dAudrey pourrait bien attirer lattention sur elle : elle a emprunté lescalier inadéquat pour aller en classe, sous le prétexte incongru que lautre était bondé
La longueur de cette nouvelle, assez conséquente, permet à lauteure quelques rebondissements inattendus. Alors quon se croit initialement dans un futur totalement aseptisé, on découvre quil nen est rien et que la vérité est bien plus étrange (et sombre) que cela. Ce qui nempêche pas des réflexions de fond sur lamour parental ou le coût de la survie de lhumanité. Une nouvelle vraiment intéressante qui fait partie de mes préférées.
Mise à jour, de Pénélope Chester
Puisque les humains craignent les virus biologiques, pourquoi les droïdes intelligents ne craindraient-ils pas tout autant les virus informatiques ? Dans cette nouvelle, un robot domestique est obnubilé par la menace, au point de sauto-scanner vingt fois par heure et de refuser toute mise à jour.
Ce récit est très court mais nen est pas moins très sympathique. Le petit robot hypocondriaque prête vraiment à sourire, rappelant sans coup férir certaines personnes particulièrement obnubilées par leur santé.
Quand les clowns en treillis font gémir la musique, de Fabien Clavel
Le teint pâle, le nez rouge, les personnes contaminées par le virus de cette histoire font irrésistiblement penser à des clowns. Mis au ban de la société, les Clowns ne se sont pas laissés faire. Ils voulaient quon les respecte. Ils étaient nombreux, très nombreux. Ils ont eu le dessus.
Ce texte encore une fois bien sombre met en exergue des faits qui appartiennent bel et bien à notre réalité : discrimination envers les malades, inégalité des soins en fonction de la richesse
Sa forte consonance politique le rend terriblement dactualité, et fait en tout cas réfléchir.
Intrafolie, de Raymond Iss
La dernière avancée technologique en matière de miniaturisation, cest de se faire implanter son téléphone directement dans la tête. Le hic, cest que quand un virus infecte ledit intrafone, il ny a plus moyen de lempêcher de jouer en boucle de la musique directement dans la tête de son propriétaire !
Humour encore pour cette courte nouvelle, où un virus informatique qui semble initialement relativement bénin se révèle finalement invivable. Au passage, lauteur écorche un peu les amateurs de gadgets technologiques toujours plus poussés, mais également les contrats incassables avec les opérateurs et la nullité des services après-vente
La chute est évidente, mais cette lecture reste un bon moment de rigolade.
Flocon rouge, de David Osmay
Le Vaccin a permis de vaincre la mort, ou la vieillesse tout au moins. Vivre des siècles : un rêve ? Plutôt un cauchemar pour Romane, une « petite fille » que son père a vaccinée trop tôt et qui reste piégée depuis des années dans le corps dune gamine de douze ans. Aussi, quand un nouveau virus se met à frapper les Vaccinés, débloquant leur vieillissement, ce nest peut-être pas une catastrophe pour Romane à qui sa vie ne convient pas du tout.
Un très joli texte, très sensible, probablement mon préféré dans cette anthologie. La chute est une fois de plus prévisible, mais jai justement aimé cette touche despoir. Cela permet de réfléchir sur limmortalité
et ses ravages.
Contagion, de Bruce Holland Rogers
À noter que cette nouvelle est la seule de louvrage à ne pas avoir été écrite initialement en langue française ; elle a été traduite de laméricain par Lionel Davoust.
Un nouveau virus sévit. Il est si grave que les autorités (politiques, industrielles, militaires) se réunissent pour décider des mesures à prendre. De leur point de vue, la vente de produits de prévention est en effet une aubaine financière, et ce serait une catastrophe que ce virus se répande car cest un virus très particulier
Ce texte est également humoristique, avec une chute intéressante. Je nai pas trop accroché cependant, peut-être parce quil est vraiment très court et que les personnages sont antipathiques.
Et voilà le tour terminé. Comme toujours avec les éditions Griffe dEncre, cest un ouvrage de qualité qui nous est livré. Les nouvelles présentent un bon échantillon didées différentes et de styles hétéroclites, mêlant sérieux, humour, effroi ou réflexion, le tout intelligemment agencé pour que le lecteur puisse souffler en alternant les genres. Aucun récit ne sest révélé un total coup de cur, mais tous sont plaisants et bien écrits, ce qui rend le livre avalé vite et bien. Il faut bien avouer que si je devais énoncer un regret, ce serait par rapport à la taille de lanthologie : jaurais volontiers croqué quelques nouvelles supplémentaires. Tout est dans le ton adéquat, de la quatrième de couverture à la mascotte qui agrémente habituellement les ouvrages de léditeur. Mascotte ? Mais mais où est donc Grifouille ?! À vous de le découvrir !