Turin, 1953. Amerigo Ormea est le scrutateur désigné par le parti communiste italien pour le bureau de vote du Cottolengo. Et l'élection est d'importance, même si une forme de fatalisme s'est emparé du militant. Il ne s'agit rien de moins que d'approuver ou pas celle qui a été surnommée " la loi des tricheurs ". La journée s'annonce donc longue et difficile au sein même de cette institution religieuse, fortement conservatrice et embourbée dans des habitudes plus que contestables. Amerigo sait bien qu'il est de son devoir de citoyen responsable de veiller au bon déroulement du scrutin, mais il n'est pas simple aujourd'hui de rester concentré sur sa mission... d'autant que toutes les tentatives de fraude sont bonnes à être tentées !
Cet ouvrage semble trancher sur les habitudes d'écriture d'Italo Calvino, et pourtant... Pourtant il ne s'agit pas que d'une simple allégorie politico-philosophique. De l'aveu même de l'auteur, c'est une mise en histoire de faits constatés par lui-même, et relatés au travers de ces lignes.
Posons un point tout d'abord, qui peut être d'importance pour la compréhension du lecteur français : le scrutateur en Italie n'a pas du tout la même fonction qu'en France. Il s'agirait plutôt d'un savant mélange entre l'assesseur et le délégué de liste. Passé cet aspect, la compréhension de l'ouvrage devient beaucoup plus simple.
Dans ce récit, Italo Calvino réussit le tour de force de raconter pendant près de cent vingt pages une histoire où finalement, il ne se passe pas grand chose. Ce qui soutient le récit repose sur les réflexions du personnage principal sur la vie, la société, les hommes et les femmes qui l'entourent. C'est un exercice de style particulièrement périlleux. Mais ici, l'histoire est courte, et le retour d'un peu de couleurs dans la terne vie d'Amerigo, et disons-le également, dans ses convictions, permettent de réussir le paris.
Aucun des personnages n'a réellement d'importance. Mis à part Amerigo, et d'une certaine manière Lia, ils sont tous maintenus dans un anonymat de circonstance, et on ne sait d'eux que ce qui pourrait permettre de les reconnaître, et de ne pas mélanger les protagonistes de ce récit : la femme au pull-over blanc en est le meilleur exemple. Les religieuses elles mêmes ne sont entendues que dans un groupe, suffisamment représentatif aux yeux de l'auteur de l'individualité de chacune. C'est un peu aussi ce qui donne une universalité et une intemporalité au message de l'auteur.
Tournées à la dérision, toutes ces anecdotes, toutes ces tentatives pour "faire voter les morts" présentent un certain aspect cocasse, presque drôle, lorsque l'on parvient à oublier qu'elles sont réelles, et non sorties de l'imagination fertile de l'auteur. C'est cette forme de légèreté qui fait que le message passe en douceur.
Les années n'ont pas jauni ces lignes. Les réflexions sont toujours aussi actuelles, et j'ai particulièrement apprécié celle d'Amerigo concernant le fait de faire un enfant dans le monde dans lequel nous vivons.
Un bon ouvrage donc, fortement ancré dans une certaine réalité. Il n'est pas de ceux qui vous feront voyager, mais probablement de ceux qui vous feront réfléchir. A méditer...